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«Les crépuscules de la Yellowstone»: épopée en Amérique

Les crépuscules de la Yellowstone
Louis Hamelin Photo: François Couture/Collaboration spéciale

Roman plein de verve, d’aventure et de grands espaces, Les crépuscules de la Yellowstone est aussi traversé par une conscience écologique et la nostalgie d’un monde sauvage en train de s’éteindre.

Cette grande épopée signée Louis Hamelin (La Constellation du lynx)  prend sa source dans la rencontre réelle survenue en 1843 entre le naturaliste Jean-Jacques Audubon et le coureur des bois Étienne Provost.

S’il n’a plus aucune dent dans la bouche et qu’il se sent décliné, Audubon est alors au sommet de sa gloire, auréolé du succès de son ouvrage Les Oiseaux d’Amérique (dont un exemple format géant s’est récemment vendu aux enchères pour la coquette somme de 10 M$.)

À bord d’un bateau à vapeur, l’Omega, lui et sa petite équipe remontent tranquillement le fleuve Missouri en quête de spécimens pour terminer un ouvrage sur la faune d’Amérique du Nord. 

«Audubon est personnage fascinant pour un romancier, raconte Louis Hamelin. Il est épris de contradiction. C’est un romantique, un scientifique, un artiste, un bon vivant, mais qui pouvait aussi être un peu cassant et donneur de leçons.»

Pour le seconder dans son périple, le Français devenu Américain embauche un autre personnage plus grand que nature, Provost, considéré comme le plus grand trappeur de son époque.

Né à Chambly, le rondouillet Étienne a marqué de ses exploits l’Ouest américain. Remarquablement oublié aujourd’hui, il est pourtant le premier Blanc à avoir atteint le Grand Lac Salé. Une ville d’Utah, Provo, porte son nom, mais, analphabète, il n’a laissé aucune trace écrite de sa vie romanesque.

S’ils partagent la même année de naissance et la même langue, on peut dire sans se tromper que les deux hommes forment un duo mal assorti.

«C’est un couple d’antonymes, comme Don Quichotte et Sancho Panza, explique Louis Hamelin. Audubon, c’est l’homme du livre, le grand romantique. Provost le paysan, c’est l’homme de la terre, avec toute son expérience et sa science de la forêt.»

«Le travail du romancier, ce n’est pas de changer l’Histoire, c’est de la faire revivre.» Louis Hamelin, auteur du roman Les crépuscules de la Yellowstone, s’est inspiré des journaux laissés par Jean-Jacques Audubon pour bâtir son truculent récit.

Juché sur son mulet (parce qu’un cheval ne supporterait probablement pas son poids) comme le fidèle Sancho, Provost n’a cure des explications scientifiques d’Audubon. Ne lui parlez pas de Marmota flaviventris ou de gélinotte huppée, mais plutôt de siffleux et de perdrix!

«Je me suis amusé à confronter leurs points de vue: la sagesse terrienne de Provost contre la passion d’Audubon, qui me fait parfois penser à celle du capitaine Achab dans Moby Dick. On se demande ce qu’il traque finalement?»

On se pose effectivement la question en lisant les descriptions minutieuses des parties de chasse de la petite troupe. Pour le dire franchement, Audubon et ses compagnons tirent sur à peu près tout ce qui bouge .

Bête à plumes ou à fourrure, peu importe, ils accumulent les trophées au bénéfice de la science. Pour ajouter à leur collection ethnologique, ils vont même jusqu’à profaner la sépulture d’un grand chef assiniboine pour ramener sa tête.

«Aujourd’hui, on tombe à la renverse quand on lit une scène comme celle-là, mais à l’époque les gens qui se prétendaient scientifiques faisaient des choses comme collectionner des crânes humains de peuplades jugées primitives», rappelle Louis Hamelin.

«Même s’il se considérait comme un homme des bois, Audubon représente aussi la civilisation blanche qui arrive dans l’Ouest, avec l’arrogance de la science et de la connaissance.»

Western écologique

Celui qui est aussi chroniqueur au Devoir décrit volontiers son neuvième roman comme «un western écologique», c’est-à-dire un récit d’aventures avec comme décor l’Ouest américain, mais écrit avec le regard d’un «écolo du 20e siècle».

Ce choix explique d’ailleurs l’irruption dans le roman d’un narrateur contemporain qui ressemble drôlement à Louis Hamelin.

En pleine crise existentielle à l’aube de la soixantaine, ce double de l’auteur se rend dans un Dakota du Nord pour retracer le parcours de l’Omega.

Presque 200 ans plus tard, le pétrole a remplacé le castor comme ressource à exploiter avec des conséquences écologiques tout aussi néfastes.

«Écrire un pur roman historique ne m’intéressait pas, dit l’homme de lettres, qui a remporté le Prix du Gouverneur général pour son premier ouvrage, La rage, en 1989.

«Je trouvais important de faire un parallèle avec l’époque contemporaine pour mesurer tout ce qu’on a perdu et démontrer que sous d’autres formes, le massacre continue. C’est ce qui fait dire aux scientifiques qu’on est entrés dans la sixième extinction de masse», soutient Louis Hamelin en évoquant la destruction des habitats, de la faune, de la flore et l’étalement urbain.

Des maux qui, selon lui, trouvent leurs sources dans l’exploitation à vitesse grand V des ressources de la nature.

«En faisant mes recherches, je me suis rendu compte que le capitalisme prédateur existait déjà à l’époque de Provost et Audubon. On a éradiqué le castor des montagnes Rocheuses pour alimenter l’industrie des chapeaux de poils en Europe. Les bisons ont subi le même sort. Même si on a créé des parcs nationaux et des refuges fauniques pour certaines espèces, on évolue très lentement. Il s’agit de regarder les annonces de VUS et de pickup à la télé, pour comprendre que plusieurs humains sont encore en guerre avec la nature.»

Les crépuscules de la Yellowstone, aux éditions du Boréal

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