Target Number One: «Ne pas lâcher le morceau»
Premier film québécois à prendre l’affiche à la réouverture des cinémas, Target Number One (Suspect numéro un en version française) est une leçon de persévérance à tout point de vue.
Inspiré de l’histoire vraie d’Alain Olivier, Québécois incarcéré en Thaïlande à la suite d’une enquête bâclée de la GRC, ce drame aux accents de thriller met en vedette Antoine Olivier Pilon et Josh Hartnett (oui, oui LE Josh Hartnett de Pearl Harbor et Black Hawk Down).
Le réalisateur et scénariste Daniel Roby y travaillait depuis…2007.
En cours de route, le projet a connu une vie mouvementée, changeant entre autres de distributeur et de nom (le film s’intitulait auparavant Gut Instinct).
Les autres projets du cinéaste (Funkytown et Louis Cyr, notamment) se sont également mis dans le chemin, retardant davantage la production.
«Il ne fallait tout simplement pas lâcher le morceau», dit en riant le réalisateur de Dans la brume et La peau blanche.
Dernier obstacle en lice, et non le moindre: la COVID-19, qui a repoussé la date d’entrée en salles du film, prévue en avril, et menace toujours sa sortie aux États-Unis.
«Je prends ça avec un grain de sel, ce sont des choses qu’on ne contrôle pas. Il faut revoir ses priorités dans des moments comme ça. Le film est important pour moi et pour un paquet de monde qui a travaillé dessus, mais je n’allais pas le mettre dans le chemin d’une pandémie mondiale.»
Une histoire importante
Aussi frustrants soient-ils, ces aléas sont en effet bien peu de choses si on les compare au calvaire qu’a vécu Alain Olivier, qui sert d’inspiration au personnage d’Antoine Olivier Pilon.
«Sans le journalisme d’enquête, on aurait réussi à balayer sous le tapis la vie d’un citoyen canadien sans que personne ne s’en rende compte.» Daniel Roby, réalisateur de Target Number One
Renommé Daniel Léger à l’écran, cet ancien toxicomane a écopé d’une sentence de 100 ans de prison en Thaïlande après s’être retrouvé au cœur d’une histoire de trafic de drogues monté de toute pièce par des policiers à la recherche d’un suspect idéal pour boucler leur enquête.
Il aura fallu un travail d’enquête de longue haleine de la part du journaliste du Globe and Mail Victor Malarek (Hartnett) pour qu’il puisse finalement rentrer au pays.
Entre temps, il avait passé huit ans dans une geôle sordide et sa mère était décédée sans qu’il puisse la revoir.
«C’est important de raconter cette histoire parce que c’est un abus de pouvoir qui s’est produit dans le but de protéger les réputations de gens employés par le gouvernement», résume Daniel Roby.
«On s’imagine souvent que les abus de pouvoir se font ailleurs, dans des pays corrompus. Mais ça peut se faire aussi au Canada. Le système est construit de telle façon qu’il peut se glisser des erreurs qui mettent dans la balance la vie d’un citoyen canadien pour sauver la réputation d’un groupe. Tous les mécanismes étaient là pour le permettre.»
Questions de points de vue
Target Number One a l’originalité de présenter les dessous de l’affaire selon trois points de vue.
Ainsi, on passe successivement de celui de Léger, qu’on suit de la Colombie-Britannique à la Thaïlande, à celui de Malarek, qui met en jeu sa carrière et sa vie familiale, puis à celui des policiers impliqués.
Menée par l’excellent Stephen McHattie, qu’on a vu dans Maurice Richard, la troupe d’enquêteurs s’accroche à opération cousue de fil blanc pour sauver la face.
«Dès le début, je n’avais pas le goût de traiter les enquêteurs comme des antagonistes ou les méchants de l’histoire, explique Daniel Roby, qui signe ici son cinquième long métrage.
«Je trouvais important de regarder la mécanique qui a mené à une opération catastrophique comme celle-là. J’avais le goût de décortiquer ça et d’observer comment une telle chose peut se produire dans notre système judiciaire.
«C’est quand même catastrophique à la fin de la journée quand on y pense: un agent de police est décédé, un citoyen canadien s’est retrouvé avec une sentence de 100 ans de prison en Thaïlande et un million de dollars de nos taxes ont été dépensés pour une opération qui n’aurait jamais dû exister.»