«First Cow»: un capitalisme sentimental
L’amitié et le capitalisme ne font pas toujours bon ménage dans First Cow, le plus récent opus de Kelly Reichardt.
Kelly Reichardt est une des plus importantes cinéastes américaines en activité. Depuis qu’elle a adapté Old Joy de Jonathan Raymond en 2006, le duo a créé quelques-unes des plus puissantes fresques du siècle, dont Meek’s Cutoff et Certain Women.
«First Cow est la première chose que j’ai lue de Jonathan en 2004, évoque la réalisatrice en entrevue. Ça m’a pris tout ce temps-là pour trouver la bonne façon de le mettre à ma main. C’est une histoire ambitieuse, se déroulant sur quatre décennies et deux continents. On s’est concentrés en 1820, autour d’un territoire qui n’était pas encore l’Oregon, et où les Premières Nations côtoyaient les gens qui arrivaient. Tout le monde était des immigrants.»
First Cow, amitié au naturel
Une terre vierge où tout est encore possible. Les populations autochtones et les nouveaux arrivants formant d’ailleurs une communauté inclusive. Une relation particulière finira par se développer entre un cuisinier blanc (John Magaro) et un étranger chinois (Orion Lee), comme une rencontre entre l’Occident et l’Orient.
L’amitié étant au cœur de son œuvre, ce nouveau récit présenté à la Berlinale en révèle une intimité inédite. «Ce sont deux hommes tendres et lumineux qui tranchent avec les figures masculines souvent décrites de l’époque, explique la créatrice de Night Moves. Ils décident d’être ensemble plutôt que de rester seuls dans leur coin, ce qui leur permet de trouver leur place dans le monde.»
«On est aux prises avec cette idée que le rêve américain existe, qu’il faut seulement être fort et travailler suffisamment pour se retrouver au sommet. Mais c’est faux, c’est un mythe, un système. Notre pays s’est enraciné dans le capitalisme dès le début et tout le monde est attiré par ce mélange étrange d’économie, de liberté et d’exploitation.» Kelly Reichardt, cinéaste
Un monde baigné dans la nature et ses silences. Fidèle à ses habitudes, la femme derrière Wendy and Lucy prend son temps afin d’accompagner ses personnages marginaux dans leur quotidien. Un style minimaliste, doux et réconfortant au possible.
La douloureuse réalité finira toutefois par faire exploser cette bulle utopique de bonheur. Afin de survivre, il faut de l’argent. Le duo décide chaque nuit de voler un peu de lait à une vache pour concocter une recette spéciale qui se vend comme des petits pains. Une décision qui leur permettra de mieux vivre mais qui ne sera pas sans conséquences lorsque le propriétaire de l’animal (Toby Jones) découvrira le pot aux roses.
«Le vrai crime n’est pas d’avoir volé du lait mais d’en avoir fait un élément de propriété, tranche Kelly Reichardt. C’est un film sur le capitalisme. C’est l’idée que cette vache appartienne à quelqu’un et cela renvoie à cette terre que l’on possède à l’insu des autres. À cette nouvelle économie qui s’est installée et qui a évacué de nombreuses personnes, comme les peuples autochtones et les personnes moins fortunées.»