«D’horizons et d’estuaires»: l’étendue des arts visuels autochtones
Dans D’horizons et d’estuaires (aux éditions Somme Toute), 16 personnalités donnent de la voix pour souligner la place des créations autochtones dans la société québécoise. Rencontre avec Camille Larivée qui a dirigé ce recueil d’essais avec Léuli Eshraghi pour le Collectif des commissaires autochtones.
Il y a encore peu d’espace pour les arts visuels autochtones au Québec. C’est de ce constant qu’est né le Projet Tiohtià:ke (2017-2019), dont D’horizons et d’estuaires: Entre mémoires et créations autochtones fait la recension. Plusieurs artistes et travailleurs culturels autochtones y ont ainsi été invités à s’exprimer, imaginer, réfléchir, partager leurs expériences aussi. L’objectif: ouvrir le dialogue sur les relations des arts visuels autochtones avec le Québec et combler un manque.
Entre reconnaissances et espoirs, cet ouvrage vogue d’histoires de l’art en expositions, avec pour escales des hommages aux pionnières Alanis Obomsawin et Rita Letendre.
Quels sont les enjeux pour les artistes autochtones aujourd’hui au Québec?
À la moitié D’horizons et d’estuaires, on trouve le texte vraiment frappant Enjeux dans les milieux culturels autochtones francophones au Québec de France Trépanier et Mylène Guay. Elles font un retour contextuel historique sur la façon dont les institutions culturelles ont été établies au Québec. Pendant de nombreuses décennies, les artistes autochtones ont d’abord été exclus de ces structures avant de voir leur artisanat traditionnel mis en lumière. Mais on ne pensait pas qu’il y avait une possibilité d’art actuel intéressant et important. Évidemment, à travers cette démonstration, les autrices abordent les enjeux sociétaux du racisme, de l’accessibilité à des ressources comme des ateliers, des bourses, etc. On se rend compte que la société québécoise a encore beaucoup de travail à faire pour l’inclusion des artistes et des commissaires selon leur propre vision.
Dans le livre, on essaie également de montrer à quel point le Québec est différent du reste du Canada. À cause de la langue, bien sûr, mais c’est aussi lié à la culture car les communautés autochtones ont été doublement colonisées par les Anglais et les Français. Leur souveraineté est donc difficile, avec de belles histoires de résilience cependant. Si l’on regarde le parcours de l’artiste internationale Caroline Monnet, qui a d’ailleurs créé notre couverture, il y a beaucoup d’espoirs permis. Ce n’est ni tout noir, ni tout blanc, et c’est ce qu’on veut affirmer ici.
Est-il essentiel de conserver la dénomination artiste autochtone?
Ça dépend à qui la question est posée. Je pense toutefois que ça reste une fierté. On réalise dans D’horizons et d’estuaires que l’identité autochtone fait complètement partie de leur travail. Lorsqu’un ou une artiste a une belle carrière, c’est mis de l’avant. Pour reprendre l’exemple de Caroline Monnet, ce sont les femmes autochtones qu’elle honore sur notre page couverture. Elles sont toutes vêtues de beaux habits et présentées comme des reines. C’est une célébration de leur résilience, leur force, leur beauté, qu’il est nécessaire de reconnaître et de voir. L’identité et la culture sont au coeur de l’art autochtone, c’est certain.
Le choix des mots est très important dans le recueil…
Oui, exactement. Le retour au mot en différentes langues est fondamental. On a voulu montrer le Québec via un prisme autochtone dans le sens des territoires. On essaie toujours de donner les noms originaux aux lieux car ça vient situer les arts autochtones dans leur contexte et leur réalité de territoire. Tout cela fait que notre angle est assez unique.
D’horizons et d’estuaires, pourquoi ce titre?
On s’est arrêté sur ce titre poétique car chaque essai est relié à un territoire. C’est un peu comme si on faisait le tour du Québec en suivant les cours d’eau. Beaucoup d’artistes parlent et travaillent avec l’importance de l’eau comme ressource naturelle dans le livre. Il s’agit d’un honneur à la trajectoire de l’eau et des ressources de la province.
Quelle est la place des femmes dans les créations autochtones, et puis dans le livre?
La place des femmes va de soi D’horizons et d’estuaires. La majorité des artistes autochtones est féminine tout simplement car les femmes dans les communautés sont souvent celles qui partagent le savoir, qui possèdent les connaissances du travail traditionnel. Il y a une continuité dans la transmission de génération en génération de femmes. Aujourd’hui, on peut voir que les femmes autochtones sont de l’avant dans le milieu des arts visuels. C’est une réalité très forte.
Pour mieux comprendre
- Tiohtià:ke est le nom de la ville de Montréal en langue kanien’kéha. La ville se trouve sur le territoire non-cédé de la nation Kanien’kehá:ka (communément appelé la nation Mohawk).
- Le Collectif des commissaires autochtones (Indigenous Curatorial Collective) est un organisme national artistique autochtone basé au Canada qui soutient les commissaires, artistes, et travailleurs culturels autochtones. Celui-ci organise des événements et offre des opportunités de projets artistiques aux communautés artistiques autochtones partout au pays.