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Dans «Larves de vie», des insectes pour envahir les non-dits

Larves de vie
L'autrice Christine Gosselin Photo: Josie Desmarais/Journal Métro

Pour son premier roman, Larves de vie, Christine Gosselin explore grâce à des insectes métaphoriques les maux qui l’habitent. Anxiété, troubles alimentaires, automutilation, estime de soi et infertilité sont ainsi évoqués de façon inédite, sans jamais les nommer. Entrevue.

Des fourmis, des vers, des punaises et une mante religieuse: repoussantes pour les unes, inquiétantes pour les autres, ces bestioles Christine Gosselin les a soigneusement choisies pour parler de sujets encore tabous en 2021. Le temps des quelque 140 pages de Larves de vie, l’autrice raconte en effet son rapport à sa propre santé mentale et à sa condition qui ne lui permet pas d’enfanter. Là où les mots sont parfois difficiles à trouver, à transmettre, elle emmène le lecteur vers un univers inattendu, inexorable, mais dénué de noirceur, avec une écriture incisive et généreuse.

Quelle a été votre démarche avec Larves de vie, cet ouvrage très intime?

En mettant ma vie sur papier, je voulais rendre tangibles les maladies et les troubles dont je parle. Tout a commencé avec les fourmis. J’ai toujours l’impression que ça me gratte dans la tête, que quelque chose se passe. Les idées bougent tellement vite, parfois je me perds dans la poussière, donc je continue de gratter, je vais ailleurs. Quand je suis anxieuse, c’est comme si j’avais des bibittes dans la tête, en fait. Un peu comme l’image de fourmis qui creusent des trous, des tunnels. Je me suis demandé comment parler de mes autres troubles aux gens que j’aime sans les inquiéter ou leur faire peur. Et le concept des insectes a été une évidence.

Le processus d’écriture a été très obsessif, ce qui va bien avec l’idée des bestioles. Puisque toute ma vie j’ai écrit, j’ai alors voulu raconter mon histoire et l’envoyer dans l’univers en espérant que ça puisse aider quelqu’un.

Il est donc question des fourmis, mais pas seulement. Pouvez-vous nous en dire plus?

Je trouve que tout le monde réagit aux insectes. Certains veulent les tuer, éprouvent du dégoût, tandis que des personnes vont, au contraire, y faire très attention. Pour moi, il y a autant de positif que de négatif.

La mante religieuse, par exemple, produit une image en nous même si on n’est pas spécialiste. Le lien avec l’amour, le sexe, la reproduction a donc été facile à faire. De plus, à cause de mon infertilité, j’ai toujours comparé ma trompe de Fallope à une branche cassée, à une mante religieuse. C’est un rappel constant que j’ai une bibitte croche à l’intérieur.

En ce qui concerne les punaises de lit, on est d’accord que personne ne souhaite en avoir. L’obsession de penser qu’il y a en partout représentait bien mon désir de m’arracher la peau pour devenir quelqu’un d’autre. Pour les troubles alimentaires, il y avait ce réflexe de les associer aux vers intestinaux.

Tous, en tout cas, prennent en otage le corps.

«Je ne sais pas ce qui est le plus effrayant: les cauchemars de la nuit ou les pensées incessantes apportées par les fourmis, grain après grain.» – Extrait de Larves de vie de Christine Gosselin paru aux éditions Hamac

Quel lien faites-vous entre les insectes et les tabous?

À moins d’en avoir vraiment besoin, en général, on évite de discuter des insectes. J’ai toujours eu du mal à m’afficher avec mon anxiété, mes troubles alimentaires et mon infertilité. L’inconfort de parler des insectes allait, selon moi, de pair avec l’inconfort de parler de ces troubles.

En tant que femme, je trouve ça dur de parler de mon infertilité. Je n’ai rien dit à ma famille pendant longtemps pour ne faire de peine à personne. Mais finalement, comment est-ce que moi je me sentais par rapport à ça? Ça n’a pas été facile. Entre 25 et 40 ans, on demande beaucoup aux femmes pour quand sont prévus les enfants, peu importe la vie qu’elle mène. Cette pression sociale est beaucoup trop présente en 2021. Moi ça me tue à l’intérieur et j’ai besoin de l’énoncer.

Il faut démystifier tout ça.

Avez-vous fait la paix avec ces envahissants?

C’est le laisser-aller de se dire «OK, ces bibittes sont là». Parfois il y a du bien, parfois il y a du moins bien. On n’en demeure pas moins entier, aimé et aimant, avec la possibilité de grandir dans ce jardin. C’est accepter tout ça, apprendre à cohabiter avec les troubles. Malgré la laideur de l’image que je présente, il y a une beauté et une douceur à conserver. La terre ne serait pas aussi féconde s’il n’y avait pas d’insectes.

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