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«La Brèche» ou les errements d’une époque

La Brèche équipe
Solène Paré et Ève Pressault pour «La Brèche» Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans La Brèche, sa nouvelle mise en scène, Solène Paré soulève des thèmes remarquablement contemporains. La comédienne Ève Pressault y interprète l’intrigante Jude, une adulte rattrapée par son passé. Alors que la pièce sera jouée du 31 août au 19 septembre à l’Espace Go, retour sur une conversation entre notre journaliste et les deux femmes de théâtre.

«T’aurais pu dire non.» Cette phrase, prononcée à plusieurs reprises dans La Brèche, cristalliserait presque à elle seule les maux de notre société. La pièce de théâtre écrite par la dramaturge américaine Naomi Wallace entraîne ainsi le public vers les abîmes du consentement et du capitalisme. «Tout ce qui se passe dans cette histoire est d’une richesse complexe. Mon personnage est à la fois beau et effrayant. C’est un réel défi. Jude est toujours là où on ne l’attend pas», explique Ève Pressault.

De quoi en retourne-t-il au juste dans La Brèche? «Un pacte entre amis vire mal quatorze ans plus tard. Puisqu’ils viennent de milieux différents, l’impact de leurs sacrifices l’est tout autant chez chacun d’eux», prévient la metteuse en scène Solène Paré. Afin de préserver le mystère, n’en dévoilons pas trop, si ce n’est que l’histoire se déroule dans deux temporalités, en 1977 et en 1991. «C’est un spectacle sur la domination entre les genres, entre les classes sociales», résume-t-elle.

«Ce genre de rôle, aussi vertigineux soit-il, lorsqu’il nous est offert, est une bénédiction de la vie.»

Ève Pressault interprète Jude dans La Brèche

Culture du viol

À l’ère du mouvement Moi Aussi, le personnage de Jude résonne. Celui-ci permet de mettre en lumière la notion de consentement, aussi flou puisse-t-elle paraître aujourd’hui pour certains.

«Nous sommes loin du cliché de la « victime parfaite » d’agression sexuelle. Je n’aime d’ailleurs pas vraiment ce terme», confie Solène Paré. Ici, il n’est ni question de discours victimaire, ni de revanche à la Tarantino. «La réaction face au viol est très nuancée», ajoute-t-elle.

Pour Ève Pressault, La Brèche n’en est que plus révélatrice du monde dans lequel on vit. «À cause de nos sensibilités personnelles, il est souvent délicat de se positionner. Nous le voyons très bien dans la pièce: chaque personnage a un regard différent sur ce qu’il s’est passé, sur la gravité des faits», dit la comédienne.

«La grande force de la pièce réside dans sa construction. Comme le dit si bien Solène, il s’agit d’un spectacle de dévoilement. Le spectateur découvre au fur et à mesure les informations nécessaires pour se faire une idée de ce qui se produit chez chacun», poursuit-elle.

Solène Paré tient aussi à souligner l’importance de la pièce afin de rappeler aux femmes qu’elles n’ont pas été oubliées pendant cette pandémie ponctuée par les dénonciations. «Je me suis dit qu’il fallait reprendre la parole avec des textes comme La Brèche, qui montre l’individu dans toute sa cruauté. La parole féministe, les personnages féminins complexes sont désormais essentiels.»

Violence sociale

«Il y a des circonstances sociales, économiques et culturelles, qui nous poussent à poser certains gestes», observe Ève Pressault. Elle salue de ce fait l’engagement de Naomi Wallace qui, grâce à son écriture et sa posture d’autrice, défend ceux qui ne sont pas privilégiés.

Parce que le vocabulaire et la langue peuvent enfermer les gens dans leur classe sociale, «les mots de Jude sont tout ce qu’elle a pour espérer sortir d’un milieu très écrasant. Ils sont un outil d’émancipation», relate-t-elle.

«Pour ce faire, Jude a lu toutes les encyclopédies Britannica, raconte Solène Paré. Elle a un regard très rafraîchissant sur le monde. Elle sait que ce n’est pas de sa faute si elle est pauvre et ça fait d’elle une personne forte, sans honte aucune.» La metteuse en scène adhère à la vision de la dramaturge, qui se tient loin des généralités redondantes et réductrices sur la pauvreté.

Rappelons à ce propos que la présentation de La Brèche à l’Espace Go cette année est une nouvelle traduction de Fanny Britt. «Elle est une grande féministe affirmée qui a mis toute la finesse des niveaux de langage dans le texte. On y retrouve beaucoup de jeux avec les mots», s’enthousiasme Solène Paré.

Réflexion autour de La Brèche

«J’ai l’impression que comme spectateurs, nous sommes pris avec énormément de questions, plus que de réponses, conclut Ève Pressault. Tout comme les personnages, chacun pourra avoir sa propre expérience de La Brèche

«Je trouve intéressant de la pièce, et de l’art en général, qu’il n’y ait pas de réponse toute faite», ajoute Solène Paré. «Les discours politiques, tout comme le cinéma grand public, nous servent continuellement des solutions et des fins qui se font rassurantes. Le fait d’interroger plutôt que d’apporter des réponses au spectateur est à mon sens notre objectif en tant qu’artistes.»

Pour la metteuse en scène, une chose est, et restera, sûre en ce qui concerne La Brèche. «Du début et à la fin de la pièce, nous sommes dans une société capitaliste et la culture du viol demeure. C’est à nous, en tant que public, de réfléchir à la suite que nous voulons donner au monde.»


Distribution des rôles dans La Brèche

  • Valérie Tellos: Jude ado
  • Ève Pressault: Jude adulte
  • Alice Dorval: Acton
  • Rudi Loup Duperré: Hoke ado
  • François-Xavier Dufour: Hoke adulte
  • Gabriel Lemire: Frayne ado
  • Jean-Moïse Martin: Frayne adulte

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