Pour L’Impératrice, «Tout n’est pas pop, tout n’est pas rose»
Pour L’Impératrice, difficile de rentrer dans des cases. Le groupe français rejoint Oracle, une nouvelle playlist de Spotify réunissant des artistes inclassables. À cette occasion, nous avons rencontré Charles de Boisseguin et Flore Benguigui pour discuter de leurs influences musicales multiples et leur dernier album studio, Tako Tsubo.
Vous apparaissez dans la playlist Oracle de Spotify, qui est dédiée aux artistes et titres ne correspondant à aucun genre musical précis. Qu’est-ce que cela vous fait ?
Charles de Boisseguin : C’est très flatteur. C’est réducteur de mettre la musique dans des cases parce qu’on ne laisse pas aux artistes la possibilité de s’exprimer autrement. Et c’est d’autant plus vrai pour les groupes comme nous. Nous composons tous pour l’Impératrice donc nos morceaux sont forcément le reflet d’un mélange des genres. Flore vient du jazz alors que notre batteur, Tom, vient du rock. Les autres viennent plutôt du classique et du baroque.
Flore Benguigui : Quitte à nous accoler un genre, on a créé le nôtre : la bluep. C’est la contraction de «blue» et «pop». On a tout un truc dans notre dernier album autour du bleu. C’est une couleur qui nous va bien pour tout un tas de raisons. Tout d’abord, c’est la couleur de la mélancolie, comme on le voit dans l’expression anglaise «I’m blue». En jazz, il existe également la blue note, ce demi-ton qui va changer toute la couleur d’un accord. On communique souvent par couleur chez L’Impératrice, comme le font d’autres musiciens comme le pianiste Michel Petrucciani. Et c’est souvent le bleu qui revient.
Concernant la pop, c’est un genre qui nous définit plutôt bien. C’est tellement large. On appelait bien Michael Jackson «le roi de la pop», alors qu’il n’en faisait pas pour moi. Le mot «pop» renvoie aussi à la musique populaire. C’est un style qui vient toucher les gens.
Charles de Boisseguin : Je dis souvent qu’on fait de la pop. Mais c’est parce que j’ai un peu la flemme d’entrer dans les détails et de dire qu’on est influencé par le jazz, la soul, le hip-hop avec un soupçon de musique de films et d’italo disco. C’est plus simple de dire qu’on fait de la pop. Enfin de la bluep, maintenant.
Bien qu’on puisse avoir du mal à vous mettre dans une case musicale, une étiquette revient souvent à votre sujet : la French Touch. Vous reconnaissez-vous dans cette description ?
Charles de Boisseguin : Oui et non (rires). En réalité, la French Touch n’est pas si vieille que ça. J’ai grandi dans les années 1990 et ça a participé à ma culture musicale. J’ai vibré avec les Daft Punks, Air et Phoenix. C’était la BO de mon adolescence. Je pense que j’ai inconsciemment puisé là-dedans pour faire de la musique. Mais pour moi, la French Touch était plus un moment clé dans l’histoire de la musique en France. C’était la première fois que des artistes français s’exportaient autant à l’international. Je trouve que le seul élément qui nous rapproche de la French Touch, c’est l’approche harmonique. C’est une de mes obsessions. C’est ça que je puisais chez Daft Punk, et que l’on retrouve dans chacun de nos morceaux. Mais on n’est pas des représentants de la French Touch pour autant.
Flore Benguigui : C’est bête à dire mais l’étiquette «French Touch» ne me dérange pas tant que ça parce qu’on est Français. On est assez étonnés de voir à quel point notre musique peut avoir du succès à l’étranger, et surtout dans des pays non-francophones comme le Mexique ou l’Argentine. Il y a quelque chose dans nos morceaux qui les touche, même si on ne sait pas exactement ce que c’est (rires).
Cela fait plus de neuf ans que l’Impératrice existe. Quel est le plus grand changement que vous ayez vécu ces dernières années ?
Charles de Boisseguin : L’arrivée de Flore, sans conteste ! J’étais seul aux débuts de L’Impératrice et j’avais une approche très instrumentale de la musique. L’idée fondatrice du groupe était de proposer au public quelque chose qui sortait du carcan pop et qui n’était pas affilié à une voix en particulier. On voulait que les gens écoutent vraiment notre musique, comme c’est le cas avec le classique ou le jazz par exemple. Mais on en a vite fait le tour. Ce n’est pas facile de faire de la musique instrumentale de nos jours ; ça reste une sorte de sous culture musicale.
J’ai rencontré Flore totalement par hasard, et je pense que son arrivée a totalement bouleversé mon approche de la musique. Il a fallu qu’on pense L’Impératrice différemment pour lui laisser de la place.
Flore Benguigui : En tant que groupe, on a une approche assez particulière de la voix. On peut le voir dans notre dernier album, Tako Tsubo, où on l’utilise comme une sorte d’instrument. Par exemple, la voix arrive très tard dans «Anomalie bleue». C’est un morceau essentiellement instrumental, comme beaucoup d’autres dans notre discographie. La voix nous a permis de nous ouvrir à un «genre» plus large et elle a peut-être contribué à rendre L’Impératrice plus pop et accessible. Mais on continue de l’utiliser de façon étonnante.
On le voit bien dans votre dernier et deuxième opus, Tako Tsubo. Comment avez-vous conçu ce projet ?
Flore Benguigui : On se pose beaucoup de questions après la sortie d’un premier album. J’avais envie de modifier ma façon de chanter, et c’est ce qu’on a fait dans Tako Tsubo. On y a utilisé des registres de ma voix qu’on n’avait pas forcément exploités dans Matahari, et des effets assez différents. Mais je voulais aussi changer ma façon d’écrire pour parler de choses plus concrètes. Matahari était un album assez «hors-sol». Charles et moi voulions que les paroles soient très oniriques et imaginées. On a opté pour une approche radicalement différente avec Tako Tsubo.
Je voulais aussi parler de choses plus personnelles. Au fil des années, j’ai réussi à trouver ma place dans le groupe et je me suis sentie plus légitime pour parler de moi. J’ai pu aborder des sujets qui me touchent comme la place des femmes dans notre société ou les réseaux sociaux.
Charles de Boisseguin : On voulait aussi être plus proche des gens. On a beaucoup voyagé depuis Matahari et on a eu la chance de se produire aux États-Unis, au Mexique ou encore en Turquie. Le fait de rencontrer de nouveaux publics nous a beaucoup ouvert l’esprit et on se rend vite compte que tout n’est pas pop. Tout n’est pas rose. On a une responsabilité de s’engager et de fédérer les gens autrement que par des textes très légers. C’est important. Cette prise de conscience est d’abord arrivée par Flore, mais on l’a tous soutenu.
Comme beaucoup de musiciens, vos projets sont tombés à l’eau l’année dernière en raison de la pandémie, dont votre passage très attendu à Coachella. Comment avez-vous vécu cette période ?
Charles de Boisseguin : Pas extrêmement bien. L’ADN de L’Impératrice, c’est la scène et la rencontre avec les gens. On a tenté de le faire différemment pendant la pandémie en se tournant vers le numérique. On a organisé une tournée virtuelle avec la mise en place d’un système de billetterie géolocalisé. C’était marrant à faire, mais, en réalité, on a filmé qu’un seul et même concert. Ce n’était pas plus enrichissant que ça pour nous ; c’était une façon de combler du vide. Mais on est tous contents d’avoir réussi à relever ce défi et à garder un lien avec notre public malgré tout.
On a aussi profité de cette période pour peaufiner Tako Tsubo, et aller encore plus loin dans ce qu’on proposait. C’était plus prolifique qu’autre chose.
Flore Benguigui : On s’apprêtait à partir en tournée quand la pandémie s’est déclenchée. L’album était fini, mais il ne ressemblait pas à celui qu’on a sorti. Charles a vraiment pris le temps de réfléchir au moindre détail pendant des semaines. Chacun d’entre nous a aussi enregistré des choses à distance, et on a même écrit un nouveau morceau. Tako Tsubo a vraiment pris une tournure inédite avec la pandémie. Donc tout n’est pas noir non plus.
Que pouvons-nous attendre de vous à l’avenir ? Un album de musique de film comme vous en parlez depuis des années ?
Charles de Boisseguin : Ça a toujours été le leitmotiv de l’Impératrice. Je trouve qu’il y a une émotion très particulière dans la musique de film. Il y a un rapport à la fiction qui n’existe pas vraiment dans la pop. Du coup, je pense qu’on jouit d’une liberté différente quand on compose de la musique de film. Ça se sent chez Quentin Tarantino, par exemple.
Je pense qu’on a tous le fantasme de composer de la musique de film dans l’Impératrice. En tout cas, c’est ce qui m’a poussé à faire de la musique. Le rêve, ça serait de composer un standard, comme l’ont fait Ennio Morricone ou Vladimir Cosma.
Flore Benguigui : Ou encore un morceau pour le prochain James Bond ! On serait assez partants pour le faire.