«Néo-Romance»: Alexandra Stréliski, romantique de nature
Alexandra Stréliski est une artiste romantique… bien plus qu’une néo-classique en fait. Après le succès phénoménal d’Inscape, paru en 2018, la pianiste nous entraîne dans un nouveau voyage envoûtant aux confins de ses émotions — et des nôtres. Avec Néo-Romance, son troisième album qui sort vendredi sous Secret City Records, on tombe une fois de plus sous le charme de sa musique.
Le romantisme, aujourd’hui
Alexandra Stréliski, la première musicienne (qui n’est pas chanteuse) à avoir remporté le Félix de l’interprète féminine de l’année, en 2020, ne se reconnaît pas dans la fameuse appellation néo-classique que l’on accole à ses compositions pianistiques aussi enveloppantes qu’accrocheuses.
« Un retour à la forme, à l’ordre, à la tradition », comme elle a déjà entendu un conférencier décrire le genre, ça n’a rien à voir avec les mélodies portées par l’émotion qu’elle crée instinctivement depuis Pianoscope, en 2010.
« J’essaie que l’émotion soit au cœur de ce que je fais. C’est naturellement ce que je suis comme artiste », dit-elle en entrevue avec Métro de l’aéroport, peu avant de s’envoler vers New York.
Elle s’identifie bien davantage aux compositeurs romantiques, qui « sont plus axés sur l’émotion, la spontanéité, explique-t-elle. C’est quelque chose dans lequel je me reconnais depuis toujours. Je compose de façon très spontanée, basée sur l’improvisation ».
Ce qui la fascine d’autant plus chez ces compositeurs, qui chérissaient de grands thèmes existentiels — rapport sombre avec la nature, passé, liberté sans restriction, dévouement à la beauté… —, est qu’ils utilisaient leur voix individuelle « pour faire sens dans le monde, pour cultiver l’imaginaire », expose-t-elle, une approche résolument sienne.
De ces compositeurs transcendant leur époque la musicienne a retenu « cette notion d’imaginaire et de rêve », qu’elle extrapole à la nôtre, marquée notamment par la crise environnementale. « Comment fait-on aujourd’hui pour rester rêveur? Pour lutter contre la désillusion? », s’est-elle demandé en façonnant Néo-Romance.
Racines européennes
Alexandra a composé Néo-Romance en pandémie, principalement à Rotterdam, aux Pays-Bas, où elle vit auprès de sa conjointe, partageant sa vie entre le Vieux Continent et le Mile End, où elle a ses pénates, indique la native d’Outremont.
La lauréate de cinq Félix et d’un prix Juno vit d’ailleurs depuis toujours en français et en anglais, d’où les titres alternant entre les deux langues depuis Inscape, qui s’était hissé sur la longue liste du prestigieux prix Polaris.
Le choix de la langue relève simplement d’une « question d’esthétique musicale », dit-elle, donnant pour exemple Dans les bois, qui s’intitulait initialement Into the Woods. « Mais je trouvais qu’elle avait tellement un petit côté salon français que son titre ne pouvait pas être en anglais. » Pas plus compliqué que ça.
Mais revenons à l’Europe : c’était la première fois qu’Alexandra y composait et enregistrait un album, exactement là où ont vécu ses aïeux paternels, aux origines juives polonaises. En plus d’encapsuler sa nouvelle histoire d’amour, Néo-Romance est teinté des étonnantes révélations sur ses racines.
Unique musicienne de sa famille rapprochée, la pianiste s’est découvert des ancêtres chefs d’orchestre, violonistes, gérants de théâtre, actrices, professeurs de musique…
« Pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression de faire partie d’un collectif », confie celle qui s’est longtemps sentie comme une « artiste étrange » au sein de son clan, même si celui-ci était tourné vers la culture. « C’était une découverte remplie de sens, même si ça fait 200 ans. À l’échelle du monde, ce n’est rien. »
D’un voyage à l’autre
C’est notamment pour rendre hommage à son héritage culturel européen qu’elle a intégré des cordes à ses compositions.
Grâce à une conjoncture fort inopinée, elle s’est retrouvée à travailler avec le quatuor de cordes Karski, de Bruxelles, qu’elle ne veut plus quitter, a-t-elle écrit sur Instagram.
Durant un interminable trajet de train ponctué de retards entre Berlin et Rotterdam — « il a dû s’arrêter 45 fois, ça a pris un bon 13 heures, les gens viraient fous », relate Alexandra —, celle qui se cherchait alors un trio de cordes s’est liée d’amitié avec des violoncellistes et des violonistes. Et en les suivant sur Instagram, elle est tombée sur le Karski Quartet.
« C’était exactement ça, c’était la même rivière créative », se remémore-t-elle. Puis, « ç’a été un coup de foudre instantané » en studio à Paris.
La musicienne, qui est maintenant représentée à l’international par la maison de disques XXIM, établie à Berlin, se réjouit que son travail l’amène à voyager autant. « À la fin de ma vie, je vais avoir un paquet de belles images dans ma tête : des publics, des pays, des ciels », illustre la musicienne, qui se souhaite néanmoins « de la simplicité et du calme » au sein de sa vie effrénée.
Elle souhaite en outre que le public écoute en entier le voyage musical qu’est Néo-Romance, album sur lequel elle a eu « moins peur des zones sombres », confie-t-elle.
S’unir par la musique
Finalement, se considère-t-elle comme une romantique, à l’extérieur de son sens musical? « Je pense que oui », répond-elle, amusée.
« Je suis une optimiste, mais je pense aussi à la mort depuis que je suis trop jeune, rigole-t-elle. En même temps, une certaine naïveté et un optimisme me suivent. J’arrive encore à croire que dans l’homme, il y a du bon, malgré nos comportements qui peuvent être violents et divisés. Ça fait un peu hippie, mais je pense que c’est parce qu’on ne se comprend pas et qu’on a peur. Mais il y a plus de ponts entre les gens qu’on le pense. »
Et cela, la myriade de témoignages qu’elle reçoit « de gens très différents les uns des autres, mais qui vivent dans leur existence des choses somme toute assez semblables » le démontre. « C’est ce que je trouve beau, que la musique puisse unir. »
C’est peut-être pour cela qu’Alexandra Stréliski excède les 330 millions d’écoutes sur les plateformes en continu de par le monde. Des ponts, sa musique empreinte de sensibilité continue d’en bâtir. Et elle continue de nous faire rêver.