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Détendez-vous, la fin du monde est au Jamais Lu 

Jade Barshee et Gabrielle Lessard sont les codirectrices artistiques invitées cette année, en plus d'être les idéatrices du spectacle de clôture. Photo: Denis Germain/Métro

Prenez une grande inspiration, buvez votre smoothie aux plantes adaptogènes et installez-vous en posture du chien. Dehors, c’est la fin du monde, mais ici, on est au spa et on n’a pas besoin d’y penser. C’est la prémisse du cabaret Apocalypse, fromage et bien-être, présenté en clôture du festival Jamais Lu, samedi soir, au Théâtre aux Écuries.  

L’idée est née des esprits joliment foufous de Gabrielle Lessard et Jade Barshee, invitées par la directrice Marcelle Dubois à former avec elle la cellule artistique du festival cette année, qui se déroule sous le thème de la Joie lucide. Alors qu’elles réfléchissaient à ce que cette ligne éditoriale évoquait pour elles, le titre du spectacle leur est venu.  

«Ça venait incarner tout ce qu’on voulait, explique Jade en entrevue avec Métro. Il y a une urgence dans le contexte social et climatique actuel. Tout est là pour nous dire d’abandonner et d’être cyniques, mais il y a comme cette résistance de la joie qui pousse à l’action pour la transformation.»   

«Survivre à l’apocalypse avec classe, c’était une image qui venait canaliser toutes les contradictions et toute la beauté de ce qu’on avait soulevé sur le thème, ajoute Gabrielle. Le spa, c’est tout ça. C’est la lutte sur les territoires, l’embourgeoisement, payer pour se détendre, l’injonction de se détendre, le fait que c’est polluant… Mais en même temps, ça fait du bien.» 

Jade Barshee. Photo: Denis Germain

Place au déni! 

Si l’industrie du bien-être fait de plus en plus l’objet de critiques, ce n’est pas nécessairement la cible d’Apocalypse, fromage et bien-être. Même si les deux codirectrices artistiques voient d’un mauvais œil cette marchandisation, «c’était surtout l’idée du déni qui [les] intéressait dans le spa», note Jade, qui explique que le spa représente justement ici ce «déni collectif».  

On aimait que ça brûle à l’extérieur et qu’on va se relaxer parce qu’on n’a pas envie de gérer ça, on n’a pas envie de se pencher sur des problèmes qui demandent beaucoup d’attention et de travail.

Jade Barshee, codirectrice artistique de cette édition du Jamais Lu

Mais ce déni sera remis en question durant les performances, d’où la référence au thème de la Joie lucide. À chacune des stations du spa – stations qui vont du massage thermique au jardinage – sera placé.e l’un.e des auteur.trice.s invité.e.s, qui viennent tantôt du monde littéraire, tantôt du théâtre et qui soulèveront l’absurdité de la situation durant leurs performances.    

Deux animatrices, sept performeur.euse.s  

Ainsi, Justin Laramée, derrière Run de lait, sera à la station cuisine, tandis que les sœurs Véronique et Gabrielle Côté se partageront le bain chaud et le bain froid pour se renvoyer la balle.  

Si Gabrielle et Jade sont les idéatrices d’Apocalypse, fromage et bien-être, ses animatrices sont plutôt Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau, le duo derrière la compagnie de théâtre Pleurer dans’ douche.  

«Elles montrent toute leur créativité, leur folie, leur capacité à réagir, à se mettre en scène et à se mettre en danger», croit Gabrielle.  

Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau animent le cabaret Apocalypse, fromage et bien-être

Ces deux animatrices feront les ponts entre les différentes performances de la soirée, dirigeant le spa alors que l’apocalypse est commencée hors des murs. S’ajoutent Daphné B., Jessica Beauplat, Dona-Bella Kassab et… Stéphane Gendron. Oui, oui, l’ancien maire de Huntingdon devenu animateur polémiste et désormais repenti.  

«J’avais lu son essai, Rapailler nos territoires, raconte Gabrielle Lessard. C’est loin d’idées qui ont déjà été discutées, tout passe au tordeur. Il va trasher cette gauche bien-pensante qui va au spa la fin de semaine. Il a une pensée qu’on est moins habitué de voir dans nos cercles.» 

«J’ai comme l’impression qu’il va venir nous chicaner», lance Jade Barshee en rigolant.  

Force est de constater que ni lui ni plusieurs de ses collègues du cabaret n’ont de formation en jeu. «Les auteurs et autrices qu’on a invités ne sont pas tous des interprètes, donc on ne les oblige pas, par exemple, à jouer un massothérapeute!», rassure Jade.  

Gabrielle Lessard. Photo: Denis Germain

«On amène ces auteurs parce qu’ils sont dans l’ère du temps, qu’ils se sont déjà prononcés ou qu’ils ont démontré une pensée, une pratique qui nous interpelle pour cette édition du Jamais Lu. C’est pour ça que Marcelle crée une cellule de codirection artistique. On arrive chacune avec nos univers, nos démarches», conclut Gabrielle.  

Le spectacle affiche présentement complet, mais vous pouvez vous inscrire à la liste d’attente par ici.  

Quelques spectacles qui nous ont enchanté cette année 

Graisse de bine, l’opéra 

Déjanté, délirant et absurde sont les mots qui viennent en tête lorsque l’on repense à cet opéra écrit par Victor Choinière-Champigny, qui assure aussi la narration, et composé par Vincent Kim, également chef de cet orchestre fait d’une poignée d’instruments à cordes, d’un clavier et d’un petit chœur.  

Magnifiquement boboche, le spectacle est écrit au passé simple, incluant bon nombre d’accords inventés qui ont de quoi amuser même le Bescherelle. On y raconte une fable sans queue ni tête: pour produire de la graisse de bine à l’usine du village, il faut de la graisse. En pénurie de cette précieuse matière, le peuple sacrifie l’enfant dodu de la vache et du cochon, déclenchant la rage meurtrière de la mère qui voudra venger son enfant. «J’vais te tuer, mon tabarnack!», chante-t-elle à la méchante baleine avec moult trémolos, un couvre-chef hideusement drôle sur la tête.   

Vu le chaleureux accueil du public, on a le droit d’espérer qu’une mouture plus formelle du spectacle verra le jour éventuellement… si une boîte de production est assez folle pour embarquer! 

«La maison sous les arbres» de Blake Sniper 

Jean-François Ruel-Côté signe ce texte mis en lecture par Cédrik Lapratte-Roy. Le spectacle, qui s’ouvre avec la chanson éponyme de Gilbert Bécaud, porte sur cinq ami.e.s qui partent passer du bon temps dans un chalet dans le bois, chalet qui fait partie d’un centre de villégiature et de détente pour lequel le propriétaire a de grandes ambitions.  

Mais leur plan – prendre des champignons magiques et bien de la boisson – est contrecarré par l’ambiance de plus en plus inquiétante. Entre l’auteur de livres d’horreur Blake Sniper qui loge au même endroit et la Scrunge, cette vilaine sorcière qui rôde dans les bois, la menace est certaine… comme l’absurdité de cette lecture théâtrale. «C’est vraiment mal écrit», lancent d’ailleurs quelques personnages à répétition, dont l’auteur lui-même! 

Le spectacle emprunte au whodunit d’Agatha Christie, aux monstres de Stephen King et aux films d’horreur de série Z. C’est très drôle, surtout grâce aux interprétations. Mention spéciale à Laurence Laprise, qui se révèle être une scream queen digne des meilleurs navets du genre! 

Les Chambres de défoulement 

Ce sympathique concept de performances, présentées en 6 à 7, a permis à des auteur.trice.s d’aborder des sujets – la violence familiale, l’image corporelle, l’héritage des aîné.e.s, le regard des autres, la colère face à ses modèles et le fait de donner un nouveau sens à l’avenir – qui leur sont intimes, mais qui ont une portée universelle. Une dernière performance, Casa Chica de Lesly Velázquez, aura lieu vendredi soir.  

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