Les angles morts
Je vous ai parfois parlé de mon ami Laurent, porte-parole du RAPLIQ. Un genre de tannant de la pire espèce, celui dont les politiciens font l’éloge en public, mais conspuent souvent en privé. Parce qu’il est tannant, justement.
Du genre à les interpeller poliment, mais systématiquement, opiniâtre qu’il est, afin de régler tel ou tel truc concernant divers enjeux propres aux personnes handicapées. Et croyez-moi, le traitement qu’il réserve aux dirigeants, il le sert également à ses amis bénéficiant de tribunes:
– Hey, dans ta chronique de ce matin à radio, pourquoi t’as pas parlé de nous autres?
– T’as raison. Une prochaine fois.
– Je l’entends souvent, cette toune-là…
Voyez le style. Qui fonctionne. La preuve? Ce que vous lisez en ce moment. Et à chacune de nos convos sur ces sujets, je tombe sur le cul. Parce que Laurent a ce talent afin de débusquer, et faire connaître, les angles morts de notre vie sociétale. Celle qui, dans un silence assourdissant, accepte par méconnaissance ou indolence, des injustices pourtant simples à corriger.
– Bon, je t’avais promis. Tu voulais parler de quoi, déjà?
– Des conditions des employées à mon établissement.
Laurent habite un appart sympa dans un truc appelé, dixit le jargon infini de la technocratie, Ressource intermédiaire autonome.
– Ça veut dire quoi, concrètement?
– Que nous sommes une OBNL, qui est financée par le PSOC.
– Tes acronymes donnent le tournis.
– Tu ne savais pas déjà que c’était les 12 travaux d’Astérix, mon affaire? Programme de soutien aux organismes communautaires.
– Donc ton établissement et ses services ne sont pas, si je comprends bien, financés directement par le gouvernement québécois.
– Voilà, seulement indirectement.
– Les promesses d’augmentation des ressources dans les CHSLD, par définition, ne vous touchent conséquemment pas?
– T’as tout compris.
«Laurent a ce talent afin de débusquer, et faire connaître, les angles morts de notre vie sociétale.»
Et il est là, le problème. Du moins partiellement. Parce que l’on se souvient – est-ce encore le cas, en fait? – des atrocités commises dans ces mêmes CHSLD. Jamais, cela dit, cette discussion pourtant névralgique ne se sera déplacée dans l’aréna des ressources fournies aux citoyens avec handicaps.
– Allez, parle-moi de la situation vécue présentement dans ton acronyme-truc-muche, mon snoro.
– J’habite dans mon logement, comme 19 autres locataires depuis bientôt 13 ans. J’ai du service 24/24 par une équipe d’environ 20 personnes, répartie sur trois quarts de travail. S’ajoute à ceci une liste de rappel.
– Et le ratio?
– En moyenne trois préposées pour 10 locataires.
– Toutes des femmes?
– Voilà.
– Et elles font quoi, précisément?
– Les tâches, c’est tout ce à quoi tu peux penser de plus difficile… Changer des culottes d’incontinence, essuyer les fesses plusieurs fois par jour, laver la personne à la douche… Habiller, faire manger ceux qui en sont incapables seuls, épiceries, commissions, etc. Et si le locataire a un chien d’assistance, et bien l’employée doit sortir lui faire faire ses besoins.
– Beaucoup d’amour et de dévotion.
– D’après toi?
– C’est sûr que pour te voir tout nu, j’exigerais minimalement, et au préalable, l’Ordre du Canada ET celui du Québec.
– Attends, t’as rien vu. Quand une employée doit s’absenter pour cause de maladie ou autre, elle seule doit s’arranger pour trouver une remplaçante ; si elle trouve pas, elle doit se présenter néanmoins.
– Wow…et la paie?
– Tu débutes à 15$…et le top de l’échelle est à 17,41$ après 13 ans, genre.
– Primes de nuit?
– Une à deux balles de l’heure.
– Question épaisse, dont j’imagine bien la réponse:
ce doit être difficile, de trouver et/ou conserver le staff, non?
– D’après toi? Et en plus de l’injustice et iniquité de la chose, ceci a évidemment un impact concret sur nous, les bénéficiaires de l’engagement de ces femmes d’exception. Et imagine en temps de COVID/PCU…
– Elles n’ont pas obtenu la prime COVID comme les autres préposées?
– Non.
– Syndiquées, au moins?
– Ninon.
Laurent Morissette, défenseur du vulnérable et divulgateur d’angles morts. Autant admirable que gênant pour les autres. Snoro va…