Deuxième vague: la rentrée scolaire n’est pas coupable
Face aux défis de la gestion d’une deuxième vague et la complexité de cette rentrée scolaire tant attendue, mais tellement inquiétante pour plusieurs, peut-être avez-vous oublié le passage à vide que les adolescents ont traversé au cours des derniers mois. Savoir s’en émouvoir, c’est bien, mais ça ne suffit pas.
En mars dernier, sans préavis, on a privé la jeunesse de tout repère: menace d’un nouveau virus qui court, perte de routine, longues heures à la maison sans suivi pédagogique, fin d’année scolaire bâclée, annulation du bal de finissants, interdiction des camps de vacances. Certains étaient solides, entourés, privilégiés et ont bénéficié rapidement d’un enseignement à distance et d’un été en proximité. Ceux-là ont probablement vécu ces semaines dans une relative sérénité.
De nombreux troubles
D’autres, plus nombreux et moins chanceux, ont connu la précarité financière avec celle de leurs parents, ils se sont perdus de longues heures devant leurs écrans et ont développé une cyberdépendance. Ils ont parfois goûté au trop doux réconfort de la consommation de façon hebdomadaire, puis quotidienne. Beaucoup trop, nous le constatons en clinique, ont développé une grande amotivation, un trouble anxieux ou un trouble alimentaire.
Mais tous ces adolescents ont un point en commun: ils attendaient avec impatience la rentrée. La stimulation intellectuelle leur a manqué. La socialisation, essentielle au développement, leur faisait cruellement défaut. Devant le retard académique accumulé, le sport et l’appartenance à une équipe sportive représentent souvent pour eux la seule source de motivation et de détente. Dans un gymnase, l’angoisse de l’échec scolaire n’existe plus, ils sont dans le mouvement et le désir, c’est de leur âge.
Avec l’insouciance et la saine prise de risque qui les caractérise si bien, ils ont croqué dans cette vie qu’on leur rendait un peu finalement. Comme une grande proportion d’adultes autour d’eux, ils ont préféré oublier la COVID et tout ce qui l’entoure. Peut-on réellement leur en vouloir? Comment pourrait-on nier ce passage flamboyant du développement humain qu’est l’adolescence?
Tout comme vous, nous avons vu arriver cette vague avec anticipation. La récréation s’est bel et bien terminée avec l’été, mais la population du Québec a eu de la difficulté à s’y résigner. Le nombre de cas augmente, et les éclosions également.
C’est si facile d’associer cette perte de contrôle à la «téméraire» rentrée scolaire alors que le coupable, le vrai, c’est le comportement du virus. En revanche, les mesures en place fonctionnent, la plupart des éclosions comportent moins de cinq cas et ne sortent pas des bulles-classes. Ces éclosions scolaires reflètent davantage la transmission communautaire, dont les jeunes ne sont pas exclus, et ne semblent pas contribuer significativement à cette seconde vague.
Désinvolture
Néanmoins, vous avez pris la décision de mieux encadrer ces adolescents récalcitrants. Faute d’amener la population adulte à un comportement prudent, pourquoi ne pas donner l’exemple autoritariste avec les enfants? Auprès de jeunes qui ne sont pas malades de la COVID, rappelons le encore une fois ! D’autant que ces mesures mises en place pour 28 jours, nous savons tous qu’elles pourraient s’étendre sur des mois, voire des années. Mais il y a des limites de durée, individuelles à l’adaptation, surtout dans des contextes de vulnérabilité. Nous ne voulons pas d’une jeunesse assimilée à ce qui est délétère à la bonne évolution de son développement.
Ne vous méprenez pas, nous sommes tout à fait conscients que la désinvolture de nombreux adolescents interroge. Mais est-ce réellement entre les murs de l’école, gentiment assis à leur bureau, que les jeunes contractent le virus? Le port du masque en classe changera-t-il réellement la donne? Est-ce en jouant un match de volleyball que la transmission est à son maximum? Ou n’est-ce pas plutôt dans le party d’après-match? La contamination se déroule à l’extérieur des murs d’écoles et entre amis où les principes de distanciation sociale et le port de masque sont abandonnés.
L’adolescence, quoi que l’on fasse, restera caractérisée par ce désir de rébellion, de liberté et ce sentiment très fort d’invincibilité. Et c’est ce qui fait sa force et sa beauté, on ne peut qu’en être jaloux.
En imposant le port du masque en tout temps, en retirant aux jeunes le sport, souvent leur seule source d’équilibre, nous ne changerons en rien la transmission de la COVID dans ce groupe d’âge.
Si nous optons pour de l’enseignement hybride, ils trouveront un sous-sol pour se regrouper. Et sans doute pas pour étudier. Cela échappe, il est vrai, aux principes microbiologiques.
En resserrant les mesures sans tenir compte de la nature profonde de l’adolescence, nous contribuerons assurément à une 4e vague bien plus dévastatrice, déjà amorcée: décrochage, dépressions, toxicomanie, cyberdépendance, troubles alimentaires, peurs incontrôlables, distorsions de la pensée. On pourra alors parler de sacrifice générationnel, nous nous projetons déjà à l’enseigner. Et nous regretterons pour les décennies à venir d’avoir fait obstacle à des destinées.