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Suicide au travail: libérer la parole

Businessman thinking Photo: Métro

Loin d’être uniquement une affaire d’ordre privé, le suicide au travail est, au contraire, l’affaire de tous. Des efforts restent néanmoins à faire au sein des entreprises pour briser le silence et sauver des vies.

Une étude américaine a mis en lumière une augmentation des cas de suicide en milieu de travail, surtout de 2007 à 2010, dernière année de la période étudiée.

Difficile de dire si cette tendance à la hausse est également à l’œuvre de ce côté-ci de la frontière, car les statistiques existantes ne prennent pas en compte le lieu où la personne s’est suicidée. Un sondage de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité au travail (SST) de l’Université Laval a montré que 3 Québécois sur 10 ont eu un cas de suicide dans leur entourage l’année dernière. Pour 28% d’entre eux, il s’agissait d’un collègue de travail. Et, dans 16% des cas, le passage à l’acte s’est effectué sur le lieu de travail.

À double tranchant
Une personne qui s’enlève la vie au bureau ne le fait pas forcément pour des raisons d’ordre professionnel. «Un suicide est toujours le résultat d’un ensemble de causes, indique Jean-Pierre Brun, titulaire de la Chaire en gestion de la SST. Je me souviens de quelqu’un qui, principalement à cause de problèmes familiaux, s’est suicidé au travail, car il ne voulait pas faire cela chez lui.»

Que le geste posé ait un lien avec l’emploi ou non, le milieu de travail joue un rôle crucial dans la question du suicide. Le travail est une source d’épanouissement et de valorisation sociale qui protège du suicide. D’ailleurs, le chômage est un facteur de risque de suicide. Mais le milieu professionnel génère aussi parfois un ennui, des tensions, un isolement et une souffrance qui peuvent conduire le travailleur à mettre fin à ses jours.

Le travail est également souvent le dernier rempart qui protège du suicide une personne en détresse. «En général, c’est le dernier endroit où les gens vont décrocher, explique Jérôme Gaudreault, directeur général de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). Graduellement, ils s’isolent de leurs amis et de leur famille, mais ils continuent à aller travailler, car ils n’ont pas le choix. L’absentéisme au travail est souvent un signal d’alarme.»

Il estime à 30 à 40% les cas d’absentéisme causés par des problèmes de santé mentale. Or, de 60 à 90% des personnes qui se suicident souffrent d’un problème de santé mentale, diagnostiqué ou non.

Manque de mobilisation
Les employeurs et les collègues de travail ont donc un rôle essentiel à jouer en matière de prévention. «C’est l’affaire de tous, y compris des milieux de travail, insiste M. Gaudreault. Si beaucoup d’efforts sont faits au sujet des accidents de travail, ils sont insuffisants en matière de santé psychologique.» Un avis que M. Brun partage. «Les entreprises donnent surtout de l’information en posant des affiches ou en distribuant des épinglettes, dit-il. Mais c’est une action de surface, alors que le problème est profond.»

Il faut dire que le sujet reste tabou et que cela nuit à la prévention. «Le pilote de Germanwings, par exemple, savait qu’il perdrait son emploi s’il parlait de ses idées suicidaires», souligne celui qui est également professeur en management à l’Université Laval.

Briser le silence
Libérer et accueillir la parole est indispensable pour sortir les personnes suicidaires de leur isolement.

C’est ce qu’ont fait le SPVM et la Fraternité des policiers pour réduire le nombre de suicides chez les policiers, qui constituent une catégorie de travailleurs particulièrement à risque, ainsi que les pompiers ou encore les militaires et les médecins. Une action réussie – le nombre de suicides a baissé de 80% des années 1980 aux années 2000 –, mais qui reste trop rare pour M. Brun.

Des formations d’une demi-journée avec des psychologues ou encore le recours à des policiers à la retraite qui ont écouté leurs pairs ont permis de faire progresser les mentalités. «C’est important de démystifier et de déstigmatiser la question du suicide», affirme-t-il.

L’AQPS conseille également la mise en place d’un réseau de sentinelles, capables de déceler les signes chez les personnes suicidaires, de confirmer l’existence d’idées suicidaires et de diriger les gens vers les ressources appropriées. «C’est une mesure efficace, confirme M. Gaudreault. Ce travail d’équipe permet de former un filet de sécurité.»

La 26e Semaine nationale de prévention du suicide, ayant pour thème «T’es important pour nous. Le suicide n’est pas une option», se déroulera du 31 janvier au 6 février.

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