On doit planter des arbres, mais surtout cesser de brûler des combustibles fossiles
Le dernier rapport du GIEC incite les gouvernements à changer leurs habitudes en réalisant des «transitions majeures» dans le domaine énergétique afin de lutter contre le réchauffement climatique. La reforestation et le retrait de l’utilisation des énergies fossiles font partie des solutions. Voici une analyse de H. Damon Matthews et Amy Luers de l’Université Concordia et de Kirsten Zickfeld, de l’Université Simon Fraser.
ANALYSE – Un nombre croissant de gouvernements et d’entreprises adoptent des objectifs visant la carboneutralité. Pour atteindre ces cibles, on mise souvent sur la capacité qu’a la nature d’absorber le carbone ou de l’éliminer de l’atmosphère, et ce, afin de pallier les conséquences nocives d’autres émissions sur le climat.
Par exemple, en 2019, le premier ministre Justin Trudeau a promis à Greta Thunberg que le Canada allait planter deux milliards d’arbres d’ici 2030). De plus, l’investissement dans la nature est désormais un élément clé de la stratégie climatique du Canada.
Les forêts, les tourbières, les zones humides et d’autres écosystèmes absorbent le carbone de l’atmosphère par photosynthèse et l’emmagasinent dans leurs feuilles, leurs troncs et leurs racines, ainsi que dans le sol. Mais le stockage du carbone dans la nature est vraisemblablement temporaire, car celui-ci peut ensuite être libéré en raison d’activités humaines ou de perturbations naturelles.
En revanche, les répercussions climatiques des émissions de dioxyde de carbone attribuables à l’utilisation de combustibles fossiles sont essentiellement permanentes. Si ces mesures visant à accroître les processus naturels de stockage du carbone sont de courte durée, présentent-elles un avantage sur le plan climatique ?
Notre nouvelle étude indique que le stockage temporaire du carbone dans la nature pourrait nous aider à réaliser nos objectifs climatiques. Toutefois, le résultat le plus concret – soit l’abaissement du pic de réchauffement – ne pourra se produire que si nous éliminons également les émissions attribuables aux combustibles fossiles.
Des solutions climatiques fondées sur la nature
Les solutions aux changements climatiques fondées sur la nature sont des mesures destinées à réduire la quantité de carbone présente dans l’atmosphère grâce au stockage du carbone dans les systèmes naturels. Ces stratégies comprennent le reboisement, la conservation de la nature et l’amélioration des pratiques agricoles. Ces solutions peuvent contribuer à atténuer les changements climatiques soit en freinant les émissions dues aux activités humaines d’utilisation des terres, soit en maintenant et en renforçant les processus naturels d’élimination du carbone dans l’atmosphère.
Cela étant dit, il est peu probable que le carbone emmagasiné dans la nature puisse être définitivement éliminé de l’atmosphère. Des perturbations telles que les incendies de forêt sont susceptibles de provoquer la libération du carbone dans l’atmosphère. De plus, en raison des priorités contradictoires touchant les activités d’exploitation des terres, il est possible que des zones naturelles précédemment protégées deviennent menacées par des activités industrielles.
Si le stockage du carbone dans la nature est temporaire, ses avantages pour le climat seront également éphémères. Nous devons réfléchir à des solutions écologiques en tenant compte d’autres mesures de préservation du climat afin de comprendre leurs véritables avantages.
Et si le stockage du carbone dans la nature était éphémère?
Les émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles ont des conséquences climatiques qui durent des siècles. En revanche, l’élimination du carbone dans la nature n’influe sur le climat que pendant la période où ce carbone demeure emmagasiné.
Dans notre étude, nous avons cherché à explorer les conséquences de l’élimination temporaire du carbone sur l’avenir du climat. En nous appuyant sur un modèle climatique, nous avons simulé la réponse du climat à cette suppression temporaire en fonction de deux scénarios différents d’émissions futures.
Si les émissions continuent d’augmenter jusqu’en 2040, puis diminuent progressivement, les températures mondiales grimperont tout au long du siècle. Dans ce scénario, l’élimination du carbone par la nature ne ferait que retarder l’apparition d’un seuil de réchauffement particulier. Dans notre scénario où la réduction est la plus importante, l’absorption d’un quart des émissions annuelles actuelles chaque année jusqu’en 2050 ne fait que retarder d’un an le moment où les températures se réchauffent de 1,5 °C, et de huit ans celui où elles augmentent de 2 °C.
Toutefois, si les émissions futures diminuent rapidement pour atteindre la carboneutralité d’ici le milieu du siècle et qu’elles se maintiennent ensuite à un niveau net négatif, les températures mondiales atteindront un sommet d’environ 1,6 °C, puis diminueront au cours de la seconde moitié du siècle. Dans ce cas, l’élimination temporaire du carbone par la nature permettrait de réduire le pic de température de près d’un dixième de degré.
Cet impact peut sembler modeste, mais il s’agit d’un bienfait considérable et tangible pour le climat, scénario qui ne se concrétisera que si le monde parvient également à enrayer les émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles au cours des prochaines décennies.
Que faut-il penser des solutions climatiques fondées sur la nature?
Nos résultats remettent en question la façon dont les solutions climatiques basées sur la nature sont envisagées dans le cadre des politiques environnementales. Souvent présentées comme un moyen parmi tant d’autres d’atténuer notre empreinte écologique, ces mesures sont considérées comme étant interchangeables avec d’autres stratégies de protection du climat. Par ailleurs, les solutions fondées sur la nature sont souvent employées à des fins de compensation et sont explicitement présentées comme des substituts à d’autres méthodes de réduction des émissions.
Ces deux conceptions sont problématiques. Si le stockage du carbone dans la nature est temporaire, son effet sur le climat ne saurait équivaloir à une absence d’émissions de dioxyde de carbone provenant de combustibles fossiles. En d’autres termes, substituer le stockage du carbone dans la nature à d’autres mesures de réductions des émissions néfastes retardera, au mieux, le franchissement des seuils de température. Au pire, une telle approche pourrait se traduire par une augmentation des émissions nocives et un réchauffement à long terme.
En revanche, si les solutions axées sur l’absorption du carbone par la nature s’accompagnent d’autres mesures ambitieuses de réduction des émissions, nous pourrions contribuer à limiter le pic de réchauffement. Le stockage du carbone dans la nature, même s’il est temporaire, pourrait présenter un net avantage pour le climat.
Plaidoyer pour une conservation et une intendance optimales de la nature
Nos constats révèlent quelques-uns des risques associés au recours à des solutions climatiques fondées sur la nature au mépris d’autres stratégies de lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, la protection de la nature et une meilleure gouvernance des espaces naturels sont également susceptibles de générer d’autres retombées favorables pour l’environnement. Ces bienfaits environnementaux, tels que l’augmentation de la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’eau et de l’air, sont également essentiels à la résilience climatique.
Si les solutions fondées sur la nature sont mises en œuvre en partenariat avec les peuples autochtones et d’autres communautés locales, elles peuvent également avoir des retombées sociales bénéfiques, notamment en ce qui concerne le développement des moyens de subsistance et la promotion des valeurs culturelles. L’adoption d’une perspective globale des solutions climatiques fondées sur la nature faciliterait la réalisation de ces multiples avancées.
Il faut absolument éviter de présenter les solutions climatiques basées sur la nature comme un substitut à d’autres mesures d’atténuation des changements climatiques. En revanche, si elles sont conjuguées à d’autres types d’interventions, ces stratégies pourraient grandement contribuer à la réalisation des objectifs liés au climat et aux autres aspects de la durabilité.
H. Damon Matthews, Professor and Concordia University Research Chair in Climate Science and Sustainability, Concordia University; Amy Luers, Affiliate Professor, Geography, Planning and Environment, Concordia University, and Kirsten Zickfeld, Distinguished Professor of Climate Science, Simon Fraser University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.