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Des tactiques prédatrices bloquent l’action climatique

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Alison Munson, Université Laval - La Conversation

Les médias ont fait état, dans les dernières semaines, de la publication du plus récent rapport synthèse du GIEC – un rapport final d’alerte. Les auteurs ne peuvent pas être plus clairs sur l’état du climat. Et ce ton menaçant des scientifiques est nouveau, voire effrayant.

Mais pourquoi la réaction et l’action politique sont-elles si tièdes et si lentes, malgré d’innombrables rapports similaires ?

En 2016, Alex Steffen, un Américain qui étudie et écrit sur le développement durable, a utilisé pour la première fois le terme « predatory delay », que l’on peut traduire par « délai dangereux et intentionnel ». Ce terme fait référence aux tactiques politiques intentionnelles mises en place dans le but de ralentir ou de bloquer l’action concrète pour contrer les changements climatiques et abandonner des produits pétroliers.

Alors que ce comportement politique était clairement pointé du doigt il y a 7 ans, il est encore plus important d’en parler aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il est clair que nous n’avons plus beaucoup de temps pour modifier les trajectoires des pires scénarios climatiques. Ce n’est pas de l’inaction dont on parle ici, mais bien d’un programme intentionnel de délai qui peut être observé tant au Québec qu’ailleurs dans le monde.

Experte en stabilisation du carbone dans les écosystèmes, je suis également avide de solutions pour accélérer l’action pour réduire les émissions à gaz à effet de serre afin de freiner les changements climatiques.

Rediriger la responsabilité

Une étude de 2020, d’un groupe de chercheurs en sciences sociales de Berlin, d’Angleterre et des États-Unis, a capté mon attention cette semaine, à la suite de la présentation du rapport GIEC. L’article décortique en profondeur les quatre types de discours politiques qui caractérisent le délai dangereux et intentionnel et les stratégies qui y sont associées.

Un premier discours, très fréquent, vise la redirection de la responsabilité ailleurs que sur les politiciens, par exemple sur l’individu qui doit limiter son empreinte carbone en achetant un véhicule électrique. Ce type de discours sous-entend aussi que les autres pays émettent davantage de GES que que le nôtre, ou que d’autres provinces ou pays emboîteront le pas si nous sommes les premiers à poser des actions. Tout ça, c’est du délai intentionnel.

D’autres types de discours incluent la proposition de solutions non efficaces ou non transformatives afin de distraire la population des actions concrètes (visant la réduction des émissions). Les exemples qu’on peut lire incluent les avions électriques, l’énergie de fusion ou la capture directe de carbone de l’atmosphère. Ces mesures sont, pour le moment, utopiques ou embryonnaires.

Beaux parleurs, petits faiseurs

Un autre angle de ce discours inclut l’affirmation que les combustibles fossiles font partie de la solution. Ou la multiplication des programmes de compensation des émissions, au sein desquels se multiplient les fraudes. Une enquête récente a démontré que Verra, qui domine la certification de crédits carbone sur le marché volontaire, n’aurait aucun impact sur le climat pour 90 % de ses projets.

La mise en place de cibles à long terme (comme l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2030) sans moyens concrets pour y arriver fait également partie de ce type de discours. Et le Canada en est un champion. Par exemple, nous venons d’approuver un mégaprojet d’exploitation de gaz et pétrole (Bay du nord), même si notre performance pour atteindre les cibles de l’Accord de Paris est hautement insuffisante.

Enfin, la proposition de solutions « à petits pas », qui sont très prudentes, mais conservent toutes les structures de pouvoir en place sans transformation, est une autre tactique. Ce discours est caractérisé par de beaux messages mais peu d’avancées. Un exemple est la promotion des carburants d’aviation durable, qui sont mélangés avec les carburants standards. Mais pour le moment, ils ne représentent que moins de 1 % du marché, et plusieurs chaînes de production ne sont pas réellement durables

Limiter les coûts, mais à quel prix ?

On peut entendre aussi que les coûts sont trop élevés ; il serait injuste pour la société québécoise ou pour les individus de payer si cher pour des solutions visant à réduire les émissions. Il s’agit d’un discours très réussi, parce qu’une partie vocale de la population est tout à fait d’accord que l’on paie déjà trop d’impôt et que le gouvernement intervient trop.

On parle des coûts à court terme et on ignore, au bénéfice de la prochaine élection, les avantages que ces actions pourraient avoir sur notre santé ou sur la résilience des communautés à long terme. Ce discours politique mise sur le maintien du niveau de vie des citoyens ou sur la perte d’emplois pour justifier les délais intentionnels. Au lieu d’essayer éduquer la société sur les risques réels à venir, ou de travailler sur la justice sociale pour résoudre les iniquités environnementales, on choisit une position très conservatrice qui est une tactique de délai.

Pour le bien des générations futures

Un autre discours que l’on peut lancer consiste à mettre en cause la possibilité de trouver des solutions visant la réduction des émissions. On peut laisser entendre que les changements nécessaires sont impossibles, que les sociétés seraient trop perturbées par de telles transformations. Ce discours nie l’atténuation des émissions pour suggérer que nous devons nous adapter aux changements climatiques qui en résultent. Et, souvent, l’idée que les nouvelles technologies nous aideront à atteindre cette adaptation future est renforcée. « On verra plus tard ». Ce discours n’engage pas la société vers les solutions qui existent, mais il distrait la société vers les solutions qui n’existent pas encore.

Ces discours et leurs variations sont très convaincants, et ont bien servi les politiciens au Québec et Canada depuis des décennies. Les auteurs de l’étude suggèrent que l’identification des discours intentionnels de délai pourrait aider les gens à y résister et à s’organiser différemment face à ces stratégies.

Mais Alex Steffen, qui est à l’origine du terme délai intentionnel, est franc. Il suggère que ce délai profite surtout aux politiciens et aux individus plus âgés, qui ignorent leurs obligations envers la société en général, et en particulier envers les générations futures.

Soyons francs, identifions le délai intentionnel, et parlons-en.

Alison Munson, Écologie forestière, écologie urbaine, sols urbains, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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