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Marie-Sophie Dion: l’art de voir et d’être vue

Marie-Sophie Dion Bar à lunettes
Marie-Sophie Dion, fondatrice de Bar à lunettes Photo: Gracieuseté Bar à lunettes, Bertrand Exertier

En 1992, l’opticienne et artiste-designer Marie-Sophie Dion ouvrait son premier Bar à lunettes à Sherbrooke. Trois décennies plus tard – et après l’ouverture de quatre autres boutiques, dont une dans le Vieux-Montréal –, c’est toujours la même passion qui l’anime: celle de créer des «lunettes parfaites» faites ici, pour chacun.e de ses client.e.s. Entretien. 

Marie-Sophie Dion 

Fondatrice de Bar à lunettes
Spécialité: lunettes sur mesure faites au Québec et prêt-à-porter 
Année de fondation: 1992 
Nombre d’employé.e.s: 15 
Nombre de lunettes vendues chaque année: 5000 

Crédit photo: Josie Desmarais, Métro

Beaucoup d’opticien.ne.s vendent seulement du prêt-à-porter, mais il y a une vraie dimension artistique dans votre démarche. Qu’est-ce qui vous a amenée à dessiner vous-même les lunettes que vous vendez? 

«Quand j’ai ouvert il y a trente ans, ce qui m’intéressait, c’était vraiment de proposer des montures différentes. Au début, je les achetais une par une en Europe pour les revendre ici, mais parfois je ne trouvais pas les lunettes parfaites. Et quand ça fait plusieurs fois que tu ne trouves pas dans ton stock exactement la forme que tu as dessinée, tu te dis: “J’aimerais donc ça la dessiner et la faire produire ici!” Donc c’est parti de cette idée-là et aussi de l’envie d’offrir de la couleur. J’importais les collections les plus colorées au monde, mais parfois je ne trouvais pas la bonne forme dans la bonne couleur.  

Au moment d’ouvrir ma troisième et ma quatrième boutique, je me suis dit que ça vaudrait la peine d’acheter l’appareillage spécialisé pour fabriquer mes propres montures au Québec. Donc je me suis gâtée, j’ai investi dans les machines et j’ai même fait immigrer un Français qui avait le savoir-faire technique nécessaire. J’étais la première à faire ça.» 

Comme vous le dites, trouver la paire idéale, ce n’est pas toujours facile. Comment faites-vous pour dessiner les «lunettes parfaites»?  

«Le plus important, c’est d’avoir un appui parfait sur le nez, que l’angle de la lunette soit le même que l’angle du nez. Il y a aussi plusieurs autres critères techniques: le haut de la lunette doit notamment rejoindre le sourcil et avoir la même forme que le sourcil, on doit bien voir l’œil et voir de la peau partout autour de l’œil pour un regard éveillé.  

Pour ce qui est du style, on demande aux gens ce qu’ils veulent projeter avec leurs nouvelles lunettes, quelle image ils veulent donner d’eux-mêmes, parce qu’on peut faire vraiment beaucoup de choses. Est-ce que vous voulez projeter une personnalité plus chaleureuse, près des gens, ou vous voulez au contraire impressionner, avoir l’air plus strict? Une lunette qui a du caractère, c’est une lunette qui a des angles et aussi des contours. Les formes circulaires ou ovaloïdes donneront un style plus doux, alors que des angles marqués donneront un air plus sérieux.» 

Plus qu’un moyen de bien voir, ce sont donc de véritables accessoires de mode?  

«Oui! Je m’inspire d’ailleurs souvent de la mode vestimentaire pour imaginer mes montures. Je vois les vêtements et j’imagine des lunettes qui pourraient aller avec eux. C’est un accessoire pour se distinguer, pour parler sans ouvrir la bouche. Puis, je trouve ça dommage d’en avoir seulement une paire parce qu’on ne veut pas nécessairement toujours dire la même chose, donc j’aime l’idée d’en avoir au moins deux. Une plus sobre, une plus expressive. Ça permet de sortir un petit peu du look homogène. On peut s’amuser, s’exprimer davantage.» 

On imagine que vous avez plus d’une paire à la maison. Vous en avez combien exactement?  

«Je ne sais pas, mais pas assez! Disons que j’en ai une petite collection personnelle, mais parce que je travaille beaucoup, que j’ai cinq magasins, plus l’atelier, plus deux ados, je n’ai pas beaucoup de temps pour dessiner des lunettes pour moi-même.» 

Parmi toutes les paires que vous avez dessinées, est-ce qu’il y en a une en particulier qui vous a marquée? 

«Lors d’une soirée, une de mes amies a fait un câlin à Denis Gagnon, le designer de mode aux lunettes emblématiques, et malheureusement ses lunettes sont tombées par terre et se sont brisées. C’était une paire qu’il s’était fait donner par Renata Morales [aussi designer de mode], une ancienne solaire de Lanvin, je crois. Là, mon amie complètement désolée lui a dit: “Denis, je pense que Marie-Sophie va pouvoir t’arranger ça.” C’est comme ça que je me suis trouvée à refaire les lunettes de Denis Gagnon à l’identique.» 

En trente ans, on en a vu passer des modes… Mais vous, vous êtes toujours là! Est-ce que vous diriez que vos lunettes ont quelque chose d’intemporel? 

«Je dirais que je ne me laisse pas trop influencer par les tendances éphémères. Par exemple, un client qui voudrait une monture hexagonale, je vais lui dire qu’il y en a peut-être trop et qu’on est mieux de faire autre chose pour que ce soit plus unique et intemporel. C’est drôle parce que dernièrement je dessinais des lunettes pour une cliente et ça m’a rappelé les modèles que j’avais faits pour Marie Saint Pierre en 2004. Donc, quelque part, ça veut dire que cette forme n’a pas tant vieilli. Par contre, je ne voudrais surtout pas faire du rétro. Ce qui a déjà été fait a été fait, j’essaie toujours d’apporter de la nouveauté.» 

Maintenant que votre cinquième boutique vient d’ouvrir dans le Vieux-Québec, c’est quoi la suite? Est-ce que vous aimeriez vous tourner plus vers l’international?  

«J’y pense, mais si je le fais, ça sera plutôt sous la forme d’un pop-up ou d’un shop-in-shop pour garder le concept du bar et proposer un service personnalisé; j’y tiens! Quand vous êtes dans une de mes boutiques, vous êtes un peu dans ma tête. C’est moi qui ai désigné l’espace et je fais même la playlist que vous entendez. Et c’est aussi une opportunité que je veux offrir aux opticiens qui sont avec moi de faire un travail personnalisé qui a du sens pour eux. Aller un jour dans une boutique en Europe et voir mes lunettes au mur au milieu des Gucci et Ralph Lauren, ça ne m’intéresse pas.  

C’est certain que je suis plus artiste que businesswoman. Je me laisse plus guider par mon ressenti que par des questions financières. Si j’ai récemment collaboré avec Monogram, un fabricant de lunettes en métal de Dubaï, c’est parce que c’était une personne honnête, facile à jaser. Sinon je ne l’aurais pas fait. Si j’aime l’expérience, on pourrait lancer ma collection à l’international. En attendant, je me laisse porter un peu comme une feuille sur un ruisseau. Je suis attentive aux suggestions, mais j’aime que tout se fasse de façon naturelle, organique.» 

Votre meilleur conseil pour se lancer en affaires: 

«Se lancer en affaires pour se lancer en affaires, je ne le suggère pas. Partez de ce qui vous passionne et si un jour vous avez l’idée que ça peut plaire à d’autres, alors à ce moment-là envisagez de le mettre en marché. Il ne faut pas avoir peur de partir petit et d’évoluer tranquillement.»  

Un.e entrepreneur.euse qui vous inspire: 

«Marie Saint Pierre! Parce que malgré les obstacles et la pandémie, elle a toujours suivi ses rêves. En plus, elle fait de superbes photoshoots avec sa fille qui l’aide pour ses médias sociaux. Tout ce qu’elle fait, c’est du bijou! Elle y met tellement d’énergie, c’est une locomotive.» 

Votre application favorite: 

«Je n’ai pas d’appli préférée, mais je prends des photos tout le temps. Quand je vois quelque chose de beau, shlack!, je prends une photo. C’est sûrement aussi comme ça que je trouve mon inspiration, mais mes garçons trouvent ça vraiment achalant.» 

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