Le renouveau de la gastronomie juive
Les bagels de Saint-Viateur, le smoked meat de Schwartz : ce sont deux mets qu’on associe à la cuisine juive. Méconnue, cette gastronomie est plus diversifiée qu’on le pense, et plusieurs jeunes chefs comptent bien la faire découvrir.
«Il y a toujours eu une histoire entre la bouffe hébraïque et Montréal. Elle est intégrée à la culture québécoise», indique Jeffrey Finkelstein, propriétaire-boulanger du Hof Kelsten.
Installé depuis six ans sur la Main en plein cœur du Plateau, celui qui a notamment œuvré dans la cuisine du restaurant El Bulli, en Espagne, a été le premier à amorcer le renouveau de cette gastronomie. Si, à l’origine, il ne vendait ses pains et ses pâtisseries qu’aux restaurants de la métropole (Leméac, Toqué, Joe Beef, etc.), il a ouvert ses portes au public depuis plus de deux ans. Il est donc possible de goûter ses délicieux pains et de découvrir différents plats juifs servis pour le lunch.
La cuisine juive étant riche et variée, Jeffrey Finkelstein revisite des classiques pour les mettre au goût du jour. «J’ai amélioré les recettes de ma grand-mère pour leur donner une touche gastronomique et les rendre plus fraîches et plus légères, précise-t-il. Je voulais trouver un juste milieu entre la cuisine de grand-mère et celle des restaurants Michelin où j’ai travaillé.»
Depuis l’ouverture de sa boulangerie, quelques jeunes restaurateurs juifs montréalais ont suivi ses traces. D’ailleurs, deux restaurants ont fait leur apparition depuis le début de l’été à Montréal : le Arthur’s, dans Saint-Henri, et le Fletcher’s, sur le Plateau. Tous deux ont le même désir de remettre cette cuisine au goût du jour et de la démocratiser.
«Si le renouveau de la gastronomie juive a commencé il y a plusieurs années aux États-Unis, il est en train de se faire à Montréal, lance Kristine Romanow, qui officie derrière les fourneaux du Fletcher’s. De plus en plus de jeunes juifs souhaitent préserver leur cuisine tout en la renouvelant. C’est ce que j’essaie de faire en prenant des plats traditionnels et en les amenant plus loin», précise-t-elle. Mme Romanow est aussi directrice de la programmation culinaire du Musée du Montréal juif et chef du Fletcher’s.
«Tout en regardant vers la cuisine traditionnelle juive, de nouveaux restaurants apparaissent dans un quartier historiquement juif à Montréal.» –Katherine Romanow, chef du Fletcher’s
Il y a à peine un mois qu’elle a ouvert son espace culinaire le Fletcher’s dans l’enceinte du musée. «L’alimentation est un élément important de la culture juive. Il y a de nombreux rituels qui mettent la nourriture au centre. Et ma volonté, c’est que les gens découvrent l’histoire qui se cache derrière les plats que je sers», explique-t-elle.
Même souhait du côté du Arthur’s, qui a ouvert ses portes à la fin du mois de juin. «C’est une cuisine excellente, mais elle a besoin d’être rajeunie, lance Alexandre Cohen, co-chef et copropriétaire avec sa femme, Raegan Steinberg, du Arthur’s Nosh Bar. Je voulais servir de nouveaux plats avec une âme de plats traditionnels. Nous avons pris des mets typiques et essayé de les amener plus loin tout en gardant le sentiment de réconfort qu’ils procurent», indique M. Cohen, qui est également à la barre du traiteur Back of House Gathering.
Une cuisine du monde
Même si elle n’est pas cantonnée au bagel et au smoked meat, la cuisine juive est victime de préjugés puisqu’elle est souvent considérée comme fade. Pourtant, ses influences culinaires venues de partout sur la planète en font une cuisine aux saveurs variées. «Elle a notamment subi de grandes influences du Maroc, de l’Espagne et du Portugal [sépharades] ainsi que des pays d’Europe de l’Est [askénazes]», note Jeffrey Finkelstein. «C’est important de montrer la diversité qui la compose, ajoute Katherine Romanow. Il y a des communautés juives partout dans le monde. En s’établissant, elles ont adopté les éléments culinaires de leur pays d’accueil en les adaptant pour qu’ils respectent les lois cashers, précise-t-elle. Il existe par exemple un plat d’inspiration italienne, les artichauts à la juive. Ce sont des artichauts frits [servis avec un filet d’huile d’olive et de jus de citron]. Il y a aussi un plat qui vient d’Irak, le samboussek. C’est un chausson farci de pois chiches au cari et servi avec une sauce à la mangue.»
Multiculturelle et réconfortante, la gastronomie juive est également une cuisine qui prend son temps. «Certaines coupes de viande sont braisées, fumées et salées pendant de nombreuses heures, voire des jours», détaille Jeffrey Finkelstein. Impossible, donc, de prendre des raccourcis, ajoute le chef du Arthur’s, Alex Cohen. «Toutes les cuisines peuvent emprunter des méthodes plus rapides, mais pas la cuisine juive. Tout prend du temps», conclut M. Cohen, qui qualifie également cette gastronomie de nostalgique.
Plats traditionnels
Un sandwich de massafan et de crème glacée. Crédit : Lauren Kolyn
Voici quelques mets qu’il est possible de découvrir au Arthur’s, au Fletcher’s ainsi qu’à la boulangerie Hof Kelsten.
- Massafan. Pâtisserie influencée par la gastronomie du Moyen-Orient.
- Challah. Pain brioché qui tire ses origines de la communauté de l’Europe de l’Est.
- Knish. Plat traditionnel de l’Europe de l’Est composé d’une pâte feuilletée farcie de pommes de terre, de viande et d’oignons.
- Metbouha. Salade cuite de tomate de la communauté du Maroc, à base de poivron vert et d’ail, le tout mijoté plusieurs heures.
- Shakshuka. Plat d’œufs à la sauce tomate qui mélange la cuisine du Maroc et d’Israël.
Casher, c’est quoi?
De nombreuses règles entourent l’alimentation juive.
- «Des lois hébraïques régissent la gastronomie juive. Elles indiquent comment préparer et consommer la nourriture. Toutefois, tous les Juifs ne mangent pas casher de la même façon», dit Katherine Romanow, chef du Fletcher’s
- Pas casher: «Le fait d’être ouverts le samedi implique qu’on n’est pas cashers», dit Jeffrey Finkelstein, boulanger du Hof Kelsten.
Espace culinaire Fletcher’s
4040, boulevard Saint-Laurent
514 840-9300
Boulangerie Hof Kelsten
4524, boulevard Saint-Laurent
514 649-7991
Arthur’s Nosh Bar
4621, rue Notre-Dame Ouest
514 757-5190








