La Russie, la nouvelle Afrique?
«Les toxicomanes ont le VIH, les travailleurs du sexe ont le VIH. Et ils le propagent aux autres.» Ces dures paroles sortent de la bouche de Denis Godlevskiy, de la branche russe de la Coalition internationale de préparation au traitement. «Les jeunes sont les plus touchés», ajoute-t-il.
Selon un rapport récent de l’UNICEF, le tiers des nouveaux cas de VIH recensés en Russie et en Asie centrale ont de 15 à 24 ans et plus de 80 % des personnes atteintes ont moins de 30 ans.
«En Russie, l’injection de drogue demeure la cause principale du VIH, explique Bertrand Bainvel, représentant de l’UNICEF en Russie. Et les toxicomanes du pays sont de plus en plus jeunes.» Selon l’ONUSIDA, 37 % des utilisateurs de drogue injectée en Russie vivent avec le VIH.
Jusqu’à maintenant, les autorités ont échoué dans leur lutte au fléau, croit M. Godlevskiy. «Il n’y a pas d’effort de prévention du côté du gouvernement, comme fournir des aiguilles propres ou éduquer sexuellement nos jeunes», avance-t-il.
Alors que la Russie s’enrichissait, les organismes internationaux ont peu à peu quitté le pays. «Si un toxicomane se rend à l’hôpital pour recevoir des traitements liés au VIH, les médecins vont lui dire d’aller en désintoxication d’abord, raconte M. Godlevskiy. Mais s’il le fait, son nom restera dans les archives. Il n’existe aucune aide anonyme, ce qui fait que bien des séropositifs ne recevront jamais de traitements.»
Le gouvernement se refuse à toute responsabilité et pointe du doigt le trafic de drogue. «C’est difficile pour nous de comprendre pourquoi les États-Unis ne veulent pas que les troupes internationales demeurent en Afghanistan pour éradiquer le trafic de pavot, a récemment affirmé le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov. C’est crucial de s’attaquer aux drogues et à la prolifération du VIH-sida.»
L’Afghanistan produit 90 % de l’opium mondial, l’ingrédient principal de l’héroïne. La Russie est le plus grand consommateur par personne d’héroïne. «Si le gouvernement n’améliore pas les traitements, la situation empirera, prédit-il. Nous deviendrons l’Afrique 2.0.»
«On croit à une fausse maladie»
Alexandra Volgina, activiste du sida en Russie
Il y a 12 ans, Alexandra Volgina a appris qu’elle était atteinte du VIH. «Après deux ans, j’ai choisi de ne plus me cacher, raconte-t-elle à Métro. Mais vivre avec le VIH en Russie est ardu. Vous ne savez jamais quel genre de traitements vous obtiendrez. Mais il y a aussi un lourd aspect social. Si votre employeur découvre que vous avez le VIH, vous serez viré. C’est impossible de prouver par la suite qu’on a été congédié injustement.»
Même quand les traitements sont disponibles, plusieurs personnes atteintes les refusent. «Si vous demandez des traitements, tout le monde saura que vous êtes séropositif, avance Alexandra. Plusieurs personnes choisissent ainsi de mourir en silence à la maison. Mais les choses s’améliorent peu à peu.»
Récemment, Alexandra a remarqué un autre problème. «De plus en plus de Russes croient que le sida est une fausse maladie, explique-t-elle. Ils croient que tout ça a été inventé par l’industrie pharmaceutique pour faire de l’argent. Ils croient que les gens meurent parce qu’ils sont toxicomanes et non parce qu’ils sont malades.»
Il y a neuf mois, Alexandra a donné naissance à une fille. Elle n’est pas atteinte du VIH. «C’est la première fois que j’ai menti sur mon état, avoue la nouvelle maman. Les documents de naissance de ma fille indiquent que je ne vis pas avec le VIH. Je n’ai pas honte de parler de ma condition, mais si les papiers de naissance disaient la vérité, ma fille pourrait avoir beaucoup de problèmes.»