Prison de Bordeaux: s’exprimer en dedans pour imaginer dehors
Qu’ont en commun Céline Dion, Jean Béliveau, Paul Buissonneau, Pénélope McQuade et Normand Baillargeon? Ils sont tous passés un jour par la prison de Bordeaux. En 25 ans d’existence, «Souverains anonymes», l’émission de radio enregistrée dans la prison, aura vu pas moins de 800 personnalités du monde des arts, des spectacles ou de la politique venir rencontrer et aider à se réinsérer 20 000 prisonniers.
Déclamer ses espoirs
Le 12 décembre, Mohamed Lotfi, créateur, réalisateur et producteur de l’émission, entouré de ses «souverains», célébrait un quart de siècle d’existence de son émission dans le studio de radio installé dans une cellule de la prison. «Ça fait 25 ans que j’ai Bordeaux dans le dos. Un programme de survie en-dedans. Un compas qui pointe vers la vie et le vent. Des tam-tams migrateurs, des soleils levant.»
Ce texte a été écrit par Nicodème Camarda, un poète qui a été emprisonné à Bordeaux il y a 20 ans. Les vers ont été déclamés par Macha Limonchik et Marie-Jo Thério, deux artistes qui ne sont plus à présenter. Deux «récidivistes» de Bordeaux qui ont participé plus d’une fois à «Souverains anonymes».
Christine Saint-Pierre, députée provinciale de l’Acadie et ministre des Relations internationales et de la Francophonie, elle aussi une habituée de cette cellule de prison particulière, a décerné à cette occasion la médaille du député à Mohamed Lotfi pour son travail. Une reconnaissance qu’il a immédiatement dédié aux «Souverains». Pour Mohamed Lotfi, offrir une seconde chance, une possibilité de se racheter, c’est ce à quoi on croit le plus au Québec.
«En matière de réhabilitation des personnes incarcérées, même s’il reste beaucoup à faire, nous faisons mieux qu’ailleurs», observe-t-il. Au cœur de l’émission, l’art est un moyen de réadaptation.
Présent parmi les invités, Arthur Fauteux, l’ancien directeur de la prison qui avait autorisé l’émission dans les murs de Bordeaux.
Un long parcours
L’idée de l’émission est née chez M. Lotfi après avoir longtemps œuvré avec les itinérants dont le parcours était ponctué par des entrées et sorties de la maison d’arrêt. C’est venu d’une de ses expériences de jeunesse dans son Maroc natal, il y a plus de 35 ans.
«Un jour, on nous avait arrêté avec mon cousin sans raison apparente. On s’était retrouvé dans les geôles d’un poste de police avec d’autres personnes enfermées. Mon cousin était très drôle et durant 36 heures, on a fait rire tous ces prisonniers. On nous avait libéré ensuite, sans que je sache pourquoi, mais l’idée d’apporter de la joie à ceux qui sont à l’intérieur est restée. »
La réinsertion par l’art
«Il y a l’éducation, certes, souligne M. Fauteux. Mais, il y a aussi l’art et l’expression.» S’exprimer par l’art, c’est ce qu’offre l’émission. Les détenus brisent le silence dans lequel ils vivent derrière les murs de la prison. Des paroles, de la musique et surtout énormément d’émotions sont ainsi livrés à un auditoire aussi large que peut l’être celui d’une radio. Mohamed Lotfi a aussi introduit depuis quelques années l’image de ces rencontres inattendues entre prisonniers et personnalités sur Internet.
Avec «la vie devant soi», les gens peuvent regarder maintenant les enregistrements vidéos des rencontres et écouter les prisonniers imaginer leur vie après avoir fait leur temps. Les artistes ou les personnalités qui sont passés par la prison ont chanté ou ont tout simplement discuté avec des prisonniers dans un concept quasiment unique au monde.
Des prisonniers ont parlé durant cette rencontre anniversaire. D’ancien détenus ont témoigné de la vie dedans et dehors. Des artistes comme Estelle Lavoie, Sabah Lachgar, Jamil Azzaoui ont aussi beaucoup chanté et dansé. On a aussi lu des poèmes pour dire que «Souverains anonyme» est une ode à la réinsertion qui raisonne depuis 25 ans.
Des émissions en archives et des liens vers les vidéos sur le site de l’émission Souverains anonymes.