Casser les codes de la beauté féminine avec Esther Calixte-Béa
L’artiste montréalaise Esther Calixte-Béa présente jusqu’au 28 octobre sa première exposition solo, Création d’un monde éthéré, à la galerie La Centrale sur le Plateau. En mêlant la peinture, la photographie et la mode, la créatrice et militante remet en question les canons de beauté occidentaux en présentant des corps féminins noirs et poilus.
La galerie La Centrale ne lésine pas sur les couleurs pour accueillir les œuvres d’Esther Calixte-Béa. Les murs sont peints en bleu, et le sol est recouvert d’un faux gazon vert dans lequel les pieds s’enfoncent confortablement à chaque pas, un choix de la commissaire Cécilia Bracmort. Quand on balaye la salle du regard, on constate que ces couleurs s’entremêlent avec les corps féminins, protagonistes des tableaux.
L’exposition est divisée en trois parties, ou plutôt en «trois mondes», comme dirait Cécilia Bracmort. D’abord, la création d’une tribu imaginaire, les Fyétes Souhou-te, inspirée des origines haïtiennes et ivoiriennes d’Esther Calixte-Béa. L’inspiration provient aussi de la tribu ivoirienne dont sa famille est issue. «Ma tante m’a fait savoir que dans notre tribu Wè, les femmes sont très poilues et donc que c’est normal si je suis poilue également, et que si une femme portait une barbe elle pouvait devenir cheffe, parce que la barbe est un symbole d’autorité», explique l’artiste.
Les tableaux laissent voir le quotidien de cette tribu imaginaire, dans laquelle la pilosité féminine est loin d’être un tabou, bien au contraire. Dans cette tribu, la femme la plus poilue est élue cheffe.
«Je me suis dit que j’allais ramener cet esprit imaginatif que j’avais quand j’étais enfant, et vraiment créer une tribu chez qui la pilosité, c’est quelque chose d’important, c’est une fierté et ça fait partie de leur identité féminine, comme pour moi-même.»
Cette question de l’identité se retrouve dans la deuxième partie de l’exposition, dans laquelle on découvre une série d’autoportraits photographiques de l’artiste, intitulée Paradis idéal, où elle pose dans diverses tenues qui laissent voir sa pilosité. Esther Calixte-Béa s’expose ici fièrement, mais elle exprime des émotions variées, qui vont du doute (lié à son ancien complexe) à la volonté de s’affirmer. Les images s’accompagnent d’une installation de mannequins avec des poils dessinés et qui portent des vêtements colorés. Les vêtements ont pour l’artiste plusieurs fonctions: ils peuvent être une carapace ou un moyen d’exprimer différentes émotions.
La troisième partie se compose de plusieurs tableaux qui finissent par tendre vers l’acceptation de soi. D’abord, les femmes représentées se battent contre leur pilosité, puis au fur et à mesure des œuvres, elles apprennent à déconstruire leur idéal et à être en accord avec leur corps.
Art militant
Esther Calixte-Béa le dit fièrement: elle est une militante. À travers son art, elle cherche à casser les codes de beautés occidentaux, qui présentent des femmes blanches ne laissant paraître aucune pilosité.
C’est aux alentours de 2019 que tout commence, avec le Projet Lavande, une série de photographies dans laquelle elle pose dans une robe lavande qui laisse voir sa pilosité sur les jambes, les bras et le torse. Les images connaissant un succès fulgurant et international, Esther Calixte-Béa finit même par poser pour la couverture du magazine Glamour.
Succès qui prouve que l’artiste a touché dans le mille. La pilosité féminine, notamment au niveau du torse et du visage, est encore un sujet tabou pour beaucoup de femmes. «On est sujet à un monde où l’on n’a pas trop le choix de fitter dans un certain modèle de beauté. […] Au lieu de se laisser faire, on assume et on s’aime. Parce que ça fait beaucoup de mal de ne pas fitter dans un idéal qu’on n’a pas choisi», souligne Cécilia Bracmort.
Dans l’une des œuvres d’Esther Calixte-Béa, Identity, deux femmes tentent avec douleur de retirer leurs poils, mais aussi de correspondre à un corps blanc, en se défrisant et se décolorant les cheveux notamment. Au fil des tableaux, les femmes représentées s’acceptent avec leur pilosité et leur corps noir.
Pour Esther Calixte-Béa, cette volonté d’affirmer sa pilosité apparaît comme une révolution corporelle. Car dans son art, elle casse les codes et les tabous avec puissance et sensibilité.
Esther Calixte-Béa et Cécilia Bracmort continuent d’explorer la notion d’identité noire, en exposant également quelques-unes de leurs œuvres à la Biennale transnationale noire, qui se déroule jusqu’au 23 octobre à la galerie Art Mûr, et 11 décembre dans espaces culturels.