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Clifford Lincoln et la «mythification des droits individuels»

Clifford Lincoln, à l’époque à laquelle il siégeait comme député de Nelligan, en 1981. Photo: Fonds Assemblée nationale du Québec, photographe: Kedl

«Rights are rights are rights», le député de Nelligan, Clifford Lincoln fait en 1988 cette déclaration historique en faveur des droits linguistiques. Récemment reprise comme «principe fondamental» par le nouvellement formé Parti canadien du Québec, la phrase marque le début d’une «mythification des droits individuels» au pays selon un historien contacté par Métro.

Député libéral dans l’Ouest-de-l’Île depuis 1981, Clifford Lincoln est forcé de démissionner de son poste de ministre de l’Environnement du cabinet de Robert Bourassa, fin 1988, lorsque ce dernier invoque la disposition de dérogation – parfois appelée «clause nonobstant» ou «clause dérogatoire» – pour faire entrer en vigueur la loi 178, qui modifie la loi 101.

Dans un arrêt du 15 décembre 1988, la Cour suprême du Canada venait de juger qu’interdire l’anglais dans l’affichage était inconstitutionnel en vertu des chartes québécoise et canadienne des droits et libertés.

Québec avait alors immédiatement utilisé la disposition de dérogation afin de mettre en vigueur la loi 178, qui permettait désormais l’affichage bilingue à l’intérieur des commerces et établissements publics, tout en maintenant l’affichage unilingue en français à l’extérieur.

«Je ne pouvais pas être d’accord avec ça», explique M. Lincoln, en entrevue avec Métro.

Pour lui, les droits sont des éléments fondamentaux de la vie politique et sociale.

«On n’existe pas sans les droits. Si la majorité règne toujours, quelles chances ont les minorités d’avoir des droits? Les chartes sont écrites pour les gens qui sont sans défense et dans le besoin, pour qu’il y ait une justice sociale», soutient-il.

M. Lincoln précise que sa décision, comme celle de deux autres de ses collègues du cabinet, n’a pas été une «claque en pleine face» pour le premier ministre.

«La règle est que si tu votes contre le gouvernement, il n’y a pas d’alternative: tu dois démissionner. Mais je ne pense pas que M. Bourassa voulait ça. Il a consulté différentes autorités pour voir s’il y avait une façon pour nous de voter contre et quand même garder nos emplois», raconte-t-il.

La loi 178 suscitera la colère des Anglo-Québécois. Une nouvelle formation politique, le parti Égalité, profitera du mécontentement pour faire élire quatre députés en 1989 dans des circonscriptions traditionnellement acquises au Parti libéral du Québec.

À l’instar du parti Égalité, des partis politiques qui font de la défense des droits linguistiques une priorité, comme le Parti canadien du Québec, ont récemment fait leur apparition sur la scène provinciale, en réaction à la loi 96, la réforme caquiste de la loi 101.

«Mythification des droits individuels»

Dans le contexte des années post-rapatriement de la Constitution, la déclaration de M. Lincoln marque le commencement d’une «mythification» de l’enjeu des droits individuels enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés, selon Éric Bédard, professeur d’histoire à la TÉLUQ.

«Avant le rapatriement, le Parlement était souverain. La clause dérogatoire est un genre d’accommodement entre la souveraineté totale du Parlement et la décision irrévocable de la Cour. On était au tout début de l’histoire de cette clause. On l’avait utilisée avant, mais là, c’était assez spectaculaire», se souvient-il.

La déclaration de Clifford Lincoln apportait selon lui un nouvel argumentaire.

«Le discours stipulait que les droits individuels – et dans ce cas-ci les droits linguistiques de la minorité anglophone qui sont considérés non pas comme les droits collectifs d’une communauté, mais comme les droits individuels – étaient sacrés», souligne-t-il.

Cet argumentaire a été repris maintes fois depuis.

«On a vu l’ex-premier ministre canadien, Paul Martin, par exemple, dire qu’il n’y avait rien de plus sacré que les droits individuels enchâssés dans la Charte canadienne, mais on oublie que la clause nonobstant, c’est un compromis, que ça fait partie du deal», précise M. Bédard.


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