L’art de l’esquive signé François Legault
Aujourd’hui, c’est la fête du drapeau haïtien. En Haïti, tout comme au sein de sa diaspora, cette date symbolise ses luttes et réalisations, mais également sa liberté et fierté. Il est donc opportun, en cette journée, de revenir sur la question des réfugiés haïtiens.
La semaine dernière, la députée indépendante Catherine Fournier a déposé une motion qui enjoignait l’Assemblée nationale à reconnaître non seulement le travail des «anges gardiens» demandeurs d’asile, mais aussi que leur soit accordée la résidence canadienne. Tous les partis ont appuyé la motion, sauf la CAQ. Par la voix de leur leader parlementaire Simon Jolin-Barette, la Coalition avenir Québec a rejeté la proposition. Prévisible.
Lors du point de presse vendredi dernier, le journaliste Jean Numa Goudou du média en ligne Intexto est revenu sur cette décision. Sa question à François Legault était pourtant claire: êtes-vous d’accord avec le fait que cette motion ait été écartée par votre parti et quelle est votre opinion sur le sujet?
François Legault: «Dans le cadre de la pandémie, même monsieur Trudeau ne souhaite pas qu’on reçoive des demandeurs d’asile qui transitent par le chemin Roxham. Ça ne veut pas dire que dans les demandeurs d’asile, incluant les membres de la communauté haïtienne, qu’il n’y a pas du bon monde qui est venu travailler dans nos CHSLD. Ce sont deux dossiers séparés. On a même deux membres de la communauté haïtienne dans notre Conseil des ministres et je suis conscient du problème de la communauté haïtienne dans certains quartiers de Montréal. Il faut séparer les deux dossiers. Demandeurs d’asile, c’est une chose. S’occuper de la communauté haïtienne en est une autre. Lionel Carmant c’est un ami de longue date. Ne mélangeons pas les dossiers des réfugiés, des gens qui passent par Roxham et le dossier de la communauté haïtienne. On demandait d’appuyer la venue de demandeurs d’asile ni le Gouvernement du Québec ni celui du Canada n’appuient ça actuellement.»
C’est à se demander qui mélange les dossiers! Il y a tant d’incongruités dans cette réponse, mais pour ne pas amalgamer les dossiers, je vais m’en tenir au principal. La motion visait une problématique précise. Des milliers de demandeurs d’asile attendent d’une décision concernant leur statut au Canada. Pendant que l’incertitude de leur avenir continue de planer, ils tiennent le fort. Ils sont en première ligne des bataillons dans nos CHSLD et nos hôpitaux. Dans cette guerre que nous livrons à ce virus, ce sont eux/elles qui occupent en majorité les emplois essentiels et sous-payés dont il est question depuis plusieurs semaines. C’est de ce dossier que nous parlons, Monsieur le premier ministre.
Nous ne discutons pas du chemin Roxham (ils n’y sont plus). Nous ne traitons pas des problèmes de distribution de masques, d’éclosion et de dépistage dans certains quartiers. Nous parlons d’êtres humains, de personnes qui rêvent d’une vie meilleure pour leur famille et leurs enfants. Ils/elles risquent leur santé mentale et physique, jours et nuits, pour gagner cette bataille que nous livrons solidairement. Avez-vous eu le courage de lire l’histoire de Marcelin François? Que pensera sa veuve de cette patrie qui a abandonné un de ses soldats, qui a laissé mourir un des siens sans dignité? Qu’est-ce que cela révèlera de notre humanité, quand elle et ses enfants laisseront sur le tarmac les sacrifices et les espoirs d’une vie?
Monsieur Legault a sorti la carte haïtienne lors du point de presse, luxe que certain.e.s ne peuvent se permettre. Il a parlé de sa relation privilégiée avec le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux Lionel Carmant. Un homme qui s’est rendu sur les lignes pour apporter renfort et soutien dans un CHSLD. Monsieur Carmant a été témoin de l’horrible et de la détresse inaudible et invisible pour plusieurs d’entre nous. Il a été triste observateur d’un système qui laisse son équipage à bout de souffle et la peur au ventre. Il a été, probablement à court de mots, confronté à son impuissance.
J’aimerais savoir comment notre premier ministre peut fixer monsieur Carmant dans les yeux et lui dire que cette motion ne sera pas appuyée. J’aimerais savoir comment il parvient à justifier que nous puissions demander à des gens de se sacrifier pour le bien collectif, pour sauver des vies, alors que son gouvernement ne valorise pas la leur. Lamentable démonstration d’une aide humanitaire à sens unique.
En 2017, monsieur Legault, pour prévenir des risques reliés à l’afflux de réfugiés, avait déclaré: «Le Québec ne peut pas accueillir toute la misère du monde». Quel ironique constat de dénombrer plusieurs de ces «misérables» au premier rang durant la crise ! «Il y a des services si grands qu’on ne peut les payer que par l’ingratitude», disait Alexandre Dumas.
Cette motion n’impliquait qu’un geste de solidarité de nos élus envers ces héros hors de l’ordinaire. Un simple acte de reconnaissance et l’assurance que nous ne les oublierons pas, que nous ne les abandonnerons pas. Lorsque la CAQ salue et vante le travail de nos anges gardiens, lorsqu’elle exprime la gratitude collective que l’on devrait témoigner à ces âmes courageuses, est-ce que la véracité de ses interventions réside dans les gestes qu’elle pose ou ceux qu’elle refuse de poser?