Jéhovah et la loi
On aurait évidemment pu parler à nouveau aujourd’hui de la crise SNC-Lavalin, laquelle, avec la démission impromptue de la ministre Philpott, confirme ceci : la grogne interne est d’une ampleur plus grande qu’anticipée. On aurait pu aussi jaser un brin, encore, des manœuvres de Jolin-Barrette afin de contourner l’État de droit avec sa réforme sur l’immigration. Mais, sans l’ombre d’un doute, ces deux trucs hanteront l’actualité politico-judiciaire pour une mèche. Pour le meilleur et pour le pire.
Plutôt envie, ce matin, d’un événement légèrement passé sous les radars de cette même actualité, mais d’une importance absolument capitale.
Je parle ici de l’action collective autorisée par la Cour supérieure contre trois sociétés de Témoins de Jéhovah, le tout en rapport avec des allégations de crimes sexuels. Je connais d’ailleurs assez bien l’histoire, une amie de longue date de Mont-Laurier, Pénélope Herbert, faisant partie de ces courageux et courageuses ayant décidé de défier leur ancienne communauté et de la rendre, légalement parlant, responsable de ses gestes.
Et la décision rendue par le tribunal se veut, c’est le moins qu’on puisse dire, énorme. Parce que malgré les difficultés propres à l’action collective, soit celles qui consistent à identifier le dénominateur commun à une multitude de comportements fautifs, l’action est maintenant autorisée au nom de tout Témoin de Jéhovah, actuel ou passé (parions que la deuxième catégorie sera plus nombreuse), agressé sexuellement au Québec par les leaders de la communauté – d’ordinaire appelés «Anciens» –, et les victimes d’âge mineur pourront également se joindre au recours. Voyez le genre?
Tu violes ou contournes la loi? T’en subiras les conséquences. Et Jéhovah, Jésus, Bouddha ou Mohammed ne pourra rien pour toi. Plate de même.
L’autorisation du recours constitue, cela dit, la première étape d’un processus qui risque d’être long et complexe. Et rien, malheureusement, ne peut garantir quelconque résultat sur le fond. Rien d’impossible, donc, mais rien d’assuré non plus.
Parmi les trucs inquiétants qu’on peut lire dans le jugement du tribunal : certains de ces mêmes dirigeants auraient tenté de décourager la principale requérante de dénoncer aux forces policières les agressions subies, histoire de ne pas salir l’image du Dieu Jéhovah.
Ce passage de la décision de la juge Corriveau (excellente, soit dit en passant), lequel témoigne du caractère délicat de l’affaire, est à souligner : «L’action collective ne remet pas en cause les croyances véhiculées. Cependant, il est possible de soumettre aux tribunaux des façons de faire qui peuvent être fautives et entraîner des dommages à des victimes. […] Pour le tribunal, l’action collective proposée n’a pas pour objet de faire le procès de la religion des Témoins de Jéhovah, mais plutôt de certains modes d’action.»
Message ultrapuissant, envoyé aux communautés religieuses et autres sectes : oui, la liberté de religion est reconnue, constitutionnellement parlant. Mais, non, celle-ci ne peut être invoquée au nom des pires saloperies, telle l’agression sexuelle, particulièrement sur des mineurs en position de parfaite vulnérabilité. Non, elle ne peut servir de paravent à vos trucs immoraux et illégaux. Non, il ne peut être possible de violer le Code criminel au nom de la religion. Non, votre rôle de leader ne peut être invoqué à quelconque escient, ici. Non, il ne s’agit pas d’un «accommodement raisonnable». Ni même d’un accommodement tout court.