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Les cryptomonnaies sont en crise, mais elles n’ont pas dit leur dernier mot

Photo: iStock - Chinnapong
Annie Lecompte - La Conversation

Les cryptomonnaies connaissent une crise sans précédent depuis l’arrivée des premiers actifs cryptés et monnaies virtuelles, dans les années 90, et leur démocratisation dans les années 2010.


ANALYSE – Le Bitcoin a connu une dégringolade sans précédent à la fin de l’année 2020, et ne s’en est pas encore remis. En plus de cette baisse marquée, on discute abondamment de l’effondrement inquiétant de certaines cryptomonnaies dites stables  (« stablecoins »), censées être moins volatiles.

À cela s’ajoute la chute de géants du milieu des cryptoactifs, notamment en raison d’allégations de fraude, comme pour le scandale de FTX. À l’apogée de son activité, cette plate-forme d’échange comptait un million d’utilisateurs et occupait la troisième place d’échanges de cryptomonnaie en termes de volume.

Des experts s’entendent pour dire que les contrecoups de son effondrement ont affecté durement les investisseurs, ralentissant au passage le rythme d’adoption des cryptoactifs pour les prochaines années.

En tant qu’experte dans le domaine des cryptomonnaies, je tenterai de fournir des pistes de réponses à la question suivante : les cryptomonnaies sont-elles vraiment là pour rester ou ne s’agit-il que d’un effet de mode ?

Spéculation et volatilité extrême

Les cryptoactifs sont notamment des jetons qui peuvent servir à des fins de monnaie numérique (soit des cryptomonnaies, telles que le Bitcoin et l’Ethereum). Ils sont également utilisés à des fins d’investissement dans une entité (« security token », un jeton donnant droit à la propriété d’une portion d’une entité), ou à des produits ou services (« utility token », soit un jeton donnant droit à l’obtention d’un produit une fois sa production terminée, par exemple).

Les jetons stables, qui sont censés être associés à une moindre volatilité, ont ceci de particulier qu’ils sont adossés à une devise (comme le dollar US), un produit de base (« commodity », par exemple l’or) ou encore un instrument financier (par exemple une action ou une obligation). Cela a pour objectif de conserver la stabilité de la valeur de la monnaie numérique.

Les manchettes font état presque quotidiennement de la dégringolade du Bitcoin. Bien que cette chute ne soit pas la première, elle marque particulièrement les esprits, car il s’agit d’une baisse de valeur sans précédent depuis la fin de 2020. Cet effondrement s’explique en partie par la hausse des taux d’intérêt et la fuite des investisseurs de ces investissements risqués. Bien qu’il ait repris de la valeur depuis, le Bitcoin reste néanmoins loin des sommets déjà atteints.

Cette couverture médiatique soulève beaucoup de questionnements sur la pérennité de ces cryptoactifs. En effet, ces derniers sont marqués par une volatilité extrême associée à sa non-réglementation sur les marchés, en plus d’être associés à la spéculation par plusieurs intervenants dans le monde de la finance.

D’ailleurs, la BBC rapportait récemment que le blanchiment de cryptomonnaies avait augmenté de 30 % en 2021. La Federal Trade Commission, qui a pour objectif de protéger les consommateurs américains, a pour sa part rapporté que des schémas de fraude ont coûté plus d’un milliard de dollars en cryptomonnaies en 2021 à des investisseurs. Inutile de dire que bien peu d’investisseurs floués ont revu la couleur de leur argent.

Un milliard d’utilisateurs d’ici 2022

Or, nous voyons une augmentation lente, mais certaine, de l’adoption des cryptomonnaies par des entreprises. Dans le cadre d’une étude en cours portant sur l’impact de l’adoption des cryptomonnaies par des sociétés publiques sur leur responsabilité sociale, j’ai noté que nombre d’entre elles, telles que Starbucks et McDonald’s, ont commencé à accepter le Bitcoin comme forme de paiement. Cela est notamment le cas dans leurs succursales du Salvador, dans la foulée de l’adoption par ce pays du Bitcoin comme monnaie officielle.

D’autres, comme le géant japonais du commerce en ligne Rakuten, ont plutôt choisi d’accepter les cryptomonnaies sans que l’adoption du Bitcoin par un pays, notamment, ne les y pousse. Elles disent être portées par le désir d’offrir davantage d’options de paiement à leurs clients.

La base des utilisateurs des cryptomonnaies grandit d’année et année. Ainsi, Crypto.com, une plate-forme d’échange, a estimé qu’environ 295 millions de personnes étaient entrées sur le marché des cryptomonnaies en date de décembre 2021. Cette plate-forme prévoit même un nombre d’utilisateurs franchissant la barre des 1 milliard d’ici décembre 2022.

Les cryptomonnaies permettent aussi à des populations, dont les systèmes bancaires sont peu fiables ou peu sécurisés, d’avoir accès à une forme de système bancaire parallèle, indépendante du système bancaire traditionnel. L’opportunité d’avoir accès à une forme différente de système bancaire, pour une partie moins nantie de la population, est d’ailleurs l’une des raisons avancées par le président du Salvador pour justifier l’accession du Bitcoin au titre de monnaies légales du pays.

Une fluctuation salutaire

L’intérêt croissant envers la finance décentralisée (DeFi), de même que le développement du métavers, sont aussi des facteurs qui influencent la pérennité des cryptomonnaies. La finance décentralisée a souvent recours à des jetons stables (« stablecoins ») aux fins de son fonctionnement. Le métavers, un univers constitué de mondes virtuels en 3D, permet lui aussi l’utilisation de cryptomonnaies pour l’acquisition de biens ou de services, créant ainsi un univers immersif.

Des spécialistes dans le secteur estiment que, malgré la débâcle que le marché des cryptoactifs a connu récemment, la finance décentralisée, notamment via des produits adossés à des cryptoactifs, est là pour rester. Cela s’explique par la présence d’un marché et d’acteurs prêts à y participer.

D’ailleurs, ils avancent que cette baisse marquée des marchés liés aux cryptomonnaies, bien qu’elle fasse disparaître certains acteurs, est la bienvenue. De [l’aveu même de Raoul Ullens], cofondateur de la Brussels blockchain Week (une conférence annuelle qui s’articule autour de la chaîne de blocs et des cryptomonnaies) :

Il est sain, pour l’adoption, la maturation de ces technologies du Web3, d’écrémer, de rééquilibrer le secteur. […] Un écosystème malsain n’attirera pas les masses.

Selon ces acteurs, une telle baisse des marchés des cryptoactifs est non seulement nécessaire, mais également salutaire, notamment pour rééquilibrer la valorisation.

Les cryptomonnaies sont là pour rester

Le lancement de cryptomonnaies par des banques centrales, via les monnaies digitales de banque centrales (MDBC) (ou « central bank digital currency » (CBDC) en anglais), donne aussi du poids à la permanence des cryptoactifs. En effet, la Banque du Canada travaille actuellement à la création d’une MDBC. Selon l’institution, une MDBC émise par cette autorité serait une « monnaie numérique officielle qui conserverait sa valeur nominale en dollars canadiens, tout comme les billets, car elle serait émise par la Banque du Canada ».

D’autres nations dans le monde ont pour leur part déjà émis une telle monnaie, dont les Bahamas (Sand Dollar) et le Nigéria (eNaira). Les MDBC sont différentes des monnaies numériques issues du privé (comme le Bitcoin ou l’Ethereum), notamment parce que leur utilisation prévue est seulement à des fins de transaction, et non d’investissement ou spéculation. Elles offrent les mêmes possibilités d’utilisation que l’argent comptant.

Les MDBC visent également à promouvoir l’inclusion financière d’une partie de la population n’ayant que peu ou pas d’accès au système bancaire traditionnel et simplifier la mise en œuvre de la politique monétaire et budgétaire des pays émetteurs.

Les développements dans le monde des monnaies numériques, que ce soit dans le métavers ou encore la venue de MDBC, et l’engouement qu’elles ne cessent de susciter, font de ce type d’actifs des devises qui sont là pour rester.

Cette pérennité prendra une forme qui continuera à évoluer et se transformer au fil de l’avancée des technologies les supportant (notamment, les chaînes de blocs) et de la variation dans la demande provenant des utilisateurs et/ou investisseurs.

Texte d’Annie Lecompte, professeure-assistante à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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