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Chocolat mi-amer

Photo: 123RF/teamjackson

CHRONIQUE | Je flâne sur l’avenue Bernard après avoir passé la matinée avec Yara El-Ghadban et Rodney Saint-Éloi, qui viennent de publier Les racistes n’ont jamais vu la mer. Mes errances me conduisent dans une chocolaterie où je jette mon dévolu sur une tablette parsemée de graines de tournesol. Au moment de passer à la caisse, une femme m’apostrophe: 

«C’est en arrière la file!» 

«Je sais…» 

«Ben c’est ça, va en arrière, c’est de même que ça marche.» 

Elle continue de me jeter des regards condescendants pendant qu’elle paie ses chocolats. Simplement désagréable ou… raciste? Juste le doute aura suffi à accélérer les battements de mon cœur. À vrai dire, je ne pense pas me tromper souvent dans ces moments-là. Vivre le racisme, c’est apprendre à reconnaître l’ethos des gens soudainement importunés par notre présence. 

Je quitte le petit commerce avec mon chocolat et une amorce pour mon texte. 

Les parcours de Yara et de Rodney ont aussi été jonchés de moments où le mépris et la volonté de renvoyer «en arrière» se manifestaient de toutes sortes de façons. Des bribes de ces expériences sont partagées dans leur livre épistolaire, dévoilant l’arsenal diversifié du racisme, tantôt subtil, tantôt grossier. 

Raconter pour réparer, écrit Rodney. «Pour faire une place aux histoires absentes. Pour restituer.» Écrire le racisme, c’est aussi briser le carcan de la victime, c’est se donner du pouvoir; celui de nommer, de faire exister des récits et des termes dans l’espace public. C’est exposer sous une lumière crue ce que d’autres préfèrent ne pas voir. 

L’expression «racisme systémique» remplit, entre autres, cette fonction. «Nommer permet d’ouvrir une fenêtre pour mieux montrer. Certains forcent pour qu’elle reste fermée, et d’autres, pendant ce temps, étouffent», dit Yara. «Quand tu changes le langage, tu introduis de nouveaux imaginaires, de nouvelles possibilités, et tu enclenches une révolution», ajoute Rodney. 

Des versants positifs de «racisme systémique», comme «diversité» ou «vivre-ensemble», sont également scrutés depuis quelques années. Ce sont des termes parfois utiles et parfois réducteurs. Dans tous les cas, les mots, qu’ils soient puissants, dérangeants ou pleins de bonnes intentions, ne contiennent pas de solutions toutes faites. Dans leur livre, les deux écrivain.es adoptent plutôt les paradoxes, la complexité et même la confusion; «les questions, poursuit Yara, sont parfois plus intéressantes que les réponses.» 

Il leur est dit que Les racistes n’ont jamais vu la mer est un livre troublant. Les rapports de pouvoir et les violences qui traversent nos relations, même en amitié et en amour, sont dépliés et mis en évidence, sans qu’il y ait d’ultimes coupables. 

Ce livre fait aussi remonter à la surface des émotions difficiles pour quiconque côtoie le racisme, tout en restant empreint de douceur et de générosité. Yara met le doigt dessus: «Il y a des éclats d’humanité même à travers les récits sur le racisme, parce qu’on se projette et qu’on construit des utopies.» Toute la société est grandie et magnifiée quand les assises du racisme sont ébranlées. Quand nous acceptons, comme avance Rodney, qu’il y a de la place pour les «histoires enchevêtrées» de tout le monde; « on amène notre mer vers le fleuve et le Québec devient un continent.»

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