Soutenez

COVID-19: la désinformation est mortelle, surtout celle véhiculée par les professionnels de la santé

Photo: iStock

 

Partir en guerre contre guerre la désinformation au sujet de la COVID-19, est-ce un combat perdu d’avance, surtout si les professionnels de la santé contribuent à propager ces fausses nouvelles? Voici une analyse de Mathieu Nadeau-Vallée, Médecin résident en anesthésie, Université de Montréal


ANALYSE – Au plus creux du confinement, la majorité de la population se tournait vers les différentes plates-formes de réseaux sociaux pour se divertir et s’informer. Or, parmi les multiples capsules humoristiques circulaient également des vidéos accrocheuses, parfois créées par des gens se présentant comme des médecins prestigieux, insinuant que les vaccins à ARN messager contre la Covid-19 sont dangereux et détruisent nos neurones.

Cela a fait réagir Mathieu Nadeau-Vallée, médecin résident en anesthésiologie et détenteur d’un baccalauréat en sciences biomédicales ainsi que d’un doctorat en pharmacologie. Le médecin, qui débute également une maîtrise en épidémiologie à l’automne prochain, s’est donné comme mission de combattre la désinformation qui sévit sur les réseaux sociaux, armé de la plate-forme TikTok et de son bagage scientifique.

Selon lui, décortiquer intelligemment les études scientifiques est une tâche très complexe, tant pour le grand public que pour les experts. Cette barrière au niveau des capacités d’interprétation de la littérature scientifique fondamentale amène certaines personnes, dont des travailleurs de la santé, à partager de fausses nouvelles.

Bien qu’en situation de minorité, ces «experts» minent la confiance du public envers la science et envers les professionnels de la santé. Leur permettre de développer un regard critique pourrait, ultimement, sauver des vies.

Selon vous, est-ce que les médecins au Québec sont bien formés pour déchiffrer la littérature scientifique?

Ils sont bien formés, et même de façon exemplaire, sur le plan de la science clinique et épidémiologique. Or, on ne les forme pas nécessairement à devenir des scientifiques de laboratoire, des experts des sciences fondamentales. Dans le cadre du parcours de formation en médecine, on n’enseigne pas comment lire et interpréter la littérature scientifique en biologie moléculaire, en immunologie expérimentale, en génomique, ou encore celle liée aux processus de développement de médicaments. Ces compétences requièrent une formation supplémentaire aux cycles supérieurs, que certains médecins chercheurs effectuent de leur plein gré, mais pas tous.

C’est entre autres pour cette raison, selon moi, que certains médecins partagent de fausses nouvelles. Il importe de rappeler que c’est rare, et que les médecins concernés se font rappeler à l’ordre. Afin de limiter ce phénomène, il est nécessaire d’enseigner davantage la science fondamentale à l’école de médecine. Ce sont d’ailleurs mes études doctorales en pharmacologie qui m’ont fourni le bagage nécessaire à mes activités de vulgarisation. J’y ai appris à faire une analyse critique de la littérature scientifique et à identifier des bonnes sources d’information en ce qui a trait aux expériences scientifiques en laboratoire. Quand on parle de vaccin, de virus et d’ARN, ce type de compréhension est primordial.

Quel effet a eu la pandémie sur la confiance du public envers la science, d’après vous?

J’aimerais bien le savoir; j’espère que les gens continuent à avoir confiance en leurs professionnels de la santé, malgré qu’une minorité d’entre eux aient participé à propager de fausses nouvelles. Le problème est que leur voix est amplifiée, leur message est diffusé très rapidement. Les médecins sont compétents à effectuer leur travail, mais ce n’est pas parce qu’une personne est médecin qu’elle est experte en virologie fondamentale ou en génétique. La plupart des médecins ont heureusement la rigueur de spécifier qu’ils ne peuvent pas répondre à une question qui est en dehors de leur domaine de spécialisation. Le Collège des médecins a précisé à maintes reprises que ses membres ne devaient pas propager des nouvelles qui ne sont pas appuyées par la science.

Pensez-vous que cette minorité vient détruire le travail que les autres experts tentent de réaliser en combattant la désinformation?

Oui, ils minent la confiance du public envers les professionnels de la santé et envers le vaccin, qui sauve des vies. Par exemple, le médecin québécois René Lavigueur a fait le tour de plusieurs émissions de radio pour parler contre le vaccin et répandre de fausses informations à son sujet. Certains médecins et scientifiques sont également sortis publiquement, par exemple via le collectif controversé Réinfo Covid, pour répandre des absurdités. Une pharmacienne québécoise y a même prétendu, arborant son sarrau et écusson professionnel, que des dizaines d’enfants allaient mourir à cause du vaccin. Mon équipe a dû travailler des heures pour déboulonner ces mythes.

Il y a plusieurs exemples aussi en Europe, par exemple avec Didier Raoult, et aux États-Unis, avec Robert W. Malone. Les fausses déclarations de ces travailleurs de la santé sont irresponsables et pourraient mettre en danger la vie des gens. Dans ce contexte, la désinformation peut être mortelle.

Quelle fausse nouvelle avez-vous trouvé la plus difficile à déboulonner ?

La généticienne française Alexandra Henrion-Caude est une scientifique de renom. Elle a contribué à la littérature scientifique de manière illustre. Or, depuis le début de la pandémie, elle déclare que le vaccin est une thérapie génique, qu’il modifie nos gènes, ce qui est absolument faux. Selon elle, il ne faut absolument pas se faire administrer ces «injections», qui ont le pouvoir de reprogrammer nos gènes et de détruire nos cellules. Ses affirmations sont plus difficiles à déboulonner, puisqu’elle a un titre crédible. En tant qu’experte, on s’attend donc à ce qu’elle sache de quoi elle parle. Les gens lui font confiance. Voilà pourquoi ses propos sont dangereux.

Comment le grand public peut-il détecter ce type de désinformation?

Il faut impérativement identifier les sources qui sont utilisées pour vérifier l’information. Parfois, ces sources ne font référence qu’à une vidéo YouTube, une publication Facebook ou même aux dires d’une seule personne. D’accord, cette personne a dit ça, mais sur quelles données s’est-elle basée? Est-ce que ce sont des publications scientifiques révisées par les pairs? Ou alors des interprétations libres de l’individu lui-même? C’est ce que j’essaie de faire dans mes capsules, et j’étais l’un des premiers au Québec à le faire. À l’aide d’un écran vert, je mets mes sources derrière moi; des tableaux, des graphiques tirés de publications scientifiques. Tout ce que j’affirme est vérifiable par des sources scientifiques crédibles.

Qu’est-ce qui vous a motivé à combattre la désinformation sur les réseaux sociaux?

Je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux depuis le début de la pandémie, notamment en période de confinement. J’ai réalisé que les gens avaient vraiment besoin de rire et de se divertir. J’ai donc commencé à faire des capsules d’humour sur TikTok. Après plus d’un an sur TikTok, je me suis rendu compte que beaucoup de désinformation y circulait. Au départ, je me contentais de commenter les vidéos en tentant de démentir ces fausses nouvelles, et en mentionnant que j’étais étudiant en médecine. Au lieu de me remercier de les rassurer, les gens disaient que j’étais vendu, que les compagnies pharmaceutiques me payaient pour dire de telles choses. J’étais très surpris et j’ai voulu en faire davantage. J’ai donc commencé à faire des capsules de lutte contre la désinformation, qui ont eu beaucoup de succès. Avec le temps, j’ai cumulé plus de 1,3 million de mentions «j’aime», plus d’une centaine de milliers d’abonnés sur mes différentes plates-formes, des dizaines de millions de visionnements, ainsi que des centaines de témoignages de personnes hésitantes qui ont décidé de se faire vacciner grâce à mes efforts de déboulonnage.

Avez-vous un exemple qui illustre jusqu’où peut se rendre une fausse nouvelle?

À l’automne 2021, des rumeurs circulaient que le médecin et microbiologiste-infectiologue Richard Marchand, de l’Institut de cardiologie de Montréal, reconnu mondialement, n’était pas vacciné et que les vaccins étaient dangereux. Afin de soutenir leur propos, les auteurs de ces vidéos s’étaient basés sur une entrevue que le Dr Marchand avait accordée en février 2021, donc au tout début de la vaccination. Au cours d’une discussion, il avait mentionné à Paul Arcand qu’il n’était pas encore vacciné. Cet extrait a par la suite été repris en septembre 2021, pour faire croire qu’à ce moment, pas si lointain, il n’était pas encore vacciné. J’ai alors pris la décision d’écrire au Dr Marchand, afin de l’informer que ces fausses nouvelles à son sujet étaient en train de circuler. Il était outré et très étonné! Il a donc rédigé une longue publication pour dire que c’était faux, et j’ai également fait une vidéo TikTok pour rétablir les faits et rassurer les gens.

En terminant, à votre avis, est-ce inévitable, de nos jours, d’avoir recours aux médias sociaux afin de combattre la désinformation?

Oui, il s’agit de la meilleure façon de le faire. C’est là que les gens sont, c’est aussi là que circulent les fausses nouvelles.

Comme le dit si bien Christie Wilcox, journaliste scientifique américaine,

les plates-formes de médias sociaux […] sont le moyen par lequel le monde se met en réseau et communique. Elles sont le moyen et le lieu où nous partageons des informations – avec nos amis, nos collègues, nos connaissances et tous les autres.

Pour cette raison, la science se doit d’être sur les réseaux sociaux.

Mathieu Nadeau-Vallée, Médecin résident en anesthésie, Université de Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Inscrivez-vous à notre infolettre et recevez un résumé, dès 17h, de l’actualité de Montréal.

La Conversation

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.