Élever son enfant avec une maladie dangereuse extrêmement rare
«Monsieur, pouvez-vous venir à l’hôpital le plus rapidement possible?» Samir* a accouru au CHU Sainte-Justine après avoir reçu cet appel, que tout parent redoute, en décembre 2018.
Du sang s’écoulait du cordon ombilical de son fils, Adil*, né trois jours plus tôt.
Adil est le premier enfant au Québec avec une absence totale de facteur V, une protéine sanguine essentielle à la coagulation. La cause de cette déficience demeure inconnue à ce jour.
Seulement 150 cas de cette maladie extrêmement rare ont été identifiés dans le monde jusqu’à présent, selon la Société canadienne de l’hémophilie.
Aujourd’hui âgé de trois ans, le jeune garçon reçoit des transfusions de plasma trois fois par semaine.
Une question de vie ou de mort, explique Cecilia*, sa mère. Sans ce plasma, qui régule son taux de facteur V, il est à risque de subir de graves hémorragies.
Le mode de vie de la famille a été complètement chamboulé. Tous les lundis, mercredis et vendredis, les parents d’Adil partaient avec lui de leur domicile de l’Ouest-de l’Île à 9h pour se rendre à Sainte-Justine et revenaient à la maison vers 16h.
Cecilia est passée à un horaire à temps partiel, de nuit. Samir a lui aussi déplacé son horaire de cinq jours pour travailler la fin de semaine. Ces changements d’horaires ont causé des difficultés organisationnelles et financières à la famille.
Une situation intenable. Le CHU Sainte-Justine, en collaboration avec le CLSC de Pierrefonds, a donc mis en place un programme de transfusion de plasma à domicile, une première au Québec, pour humaniser les soins que reçoit la famille.
Pour nous, la famille est aussi importante que l’enfant dont on s’occupe.
Marie-Pierre Pelletier, conseillère en soins infirmiers en médecine transfusionnelle au CHU Sainte-Justine
Ainsi, depuis juillet 2022, Adil reçoit ses trois transfusions hebdomadaires dans le confort de son foyer.
Un programme unique au Québec
«Est-ce que ça va faire mal?» demande Adil. Même s’il grimace un peu, l’enfant reste très calme lorsque son père insère le tube qui servira à la transfusion intraveineuse dans le cathéter permanent qu’on a posé par opération sous sa poitrine.
Il s’agit d’une des nombreuses étapes du processus de traitement, «un réel travail d’équipe», comme le décrit la conseillère en soins infirmiers, Marie-Pierre Pelletier, qui a coordonné sa mise en place.
Chaque matin de transfusion, Samir prend les signes vitaux de son fils vers 6h45. Il les transmet par message texte à l’infirmière qui transfusera le plasma, employée par le CLSC de Pierrefonds ou par une agence privée. Celle-ci appelle l’Hôpital général du Lakeshore immédiatement pour qu’une équipe prépare un culot du liquide brunâtre, qui sera livré dans une glacière à la résidence de la famille.
En tout, la procédure dure environ trois heures et demie, période durant laquelle Adil doit rester assis sur le divan. Un défi que l’enfant de trois ans relève admirablement à l’aide de ses «monster trucks» miniatures, comme a pu l’observer Métro.
Le respect des normes de pratique en soins infirmiers et les enjeux de pénurie de main-d’œuvre, exacerbés par la pandémie de la COVID-19, ont complexifié la mise en place des transfusions à domicile, explique Marie-Pierre Pelletier.
«La volonté, c’est de former plus de ressources pour pallier un manque si jamais on se retrouve sans personne», ajoute-t-elle quant à la pérennité du programme.
Les défis familiaux
Cecilia devient visiblement émotive en évoquant les difficultés que doit affronter la famille, qui compte aussi deux filles, âgées de cinq ans et de cinq semaines.
Je souhaitais constamment que cela ne soit qu’un cauchemar, mais c’est bien réel.
Cécilia*, mère d’Adil*
«Il y a beaucoup de craintes en l’élevant», ajoute Cecilia, les larmes aux yeux. De manière générale, Adil ne peut pas jouer dehors et ne pourra faire de sport, outre la natation. De plus, le dimanche, les parents n’amènent pas leur jeune garçon jouer avec d’autres enfants. Son risque d’hémorragie est plus grand ce jour-là puisque son taux de facteur V est très bas, la dernière transfusion remontant au vendredi.
La mère de famille se désole qu’ils ne puissent «aller nulle part», en raison des dangers pour son fils et parce que celui-ci doit être à la maison du lundi au vendredi pour recevoir ses traitements. Elle désire de tout son cœur amener sa famille à Disney World, en Floride, ou dans son pays d’origine, ce qui est impossible actuellement.
Le temps fait bien les choses
Samir se rappelle avoir ressenti de grandes frustrations quand des gens tentaient de le rassurer, lors des premiers mois après le diagnostic, qu’il qualifie de période de «déni». «Comment pourrais-tu le savoir? Tu ne sais pas ce que j’endure», leur répondait-il.
Lors des premières transfusions, le personnel médical attachait son nouveau-né pour l’immobiliser. «Voir mon bébé comme ça, pleurant, je ne pouvais pas supporter ça», explique-t-il.
Avec le temps, la famille s’est en revanche adaptée à la situation.
Sainte-Justine est devenu notre deuxième maison. Tout le monde nous connaît.
Samir*, père d’Adil*
Les parents soulignent à plusieurs reprises le soutien constant et le travail du pédiatre hématologue-oncologue, Dr Georges-Étienne Rivard, et de l’infirmière, Claudine Amesse, qui traitent Adil. « Je ne pourrai jamais les remercier assez», ajoute Samir.
Malgré les jours meilleurs, Samir et Cecilia sont conscients que la maladie de leur fils sera un défi constant, pour eux et pour lui. Notamment, ils appréhendent son plus grand désir de liberté en vieillissant, désir légitime en dépit des risques qui demeurent.
La prochaine grande étape sera l’école, qu’Adil commencera l’année prochaine. Sainte-Justine étudie l’option d’organiser les transfusions en fin de journée. «Ce qui est prévu, c’est qu’on suive son horaire et qu’on adapte les soins en fonction de ses besoins», précise Marie-Pierre Pelletier.
*Les noms ont été changés afin de protéger l’anonymat de la famille.