Soutenez

Comment l’information voyage-t-elle de l’Iran à Montréal?

En place depuis mardi, à l’est de Saint-Laurent, sur la rue Sherbrooke, un centre d’information permet aux membres de la diaspora iranienne de Montréal de garder un contact direct avec ce qui se passe en Iran. Car là-bas, la population a déclaré une grève générale. Trois jours consécutifs de soulèvement total pour «converger vers Téhéran, pour en finir avec le gouvernement», explique la femme politique d’origine iranienne, Nimâ Machouf.

Les informations des médias de l’État iranien sont projetées sur grand écran et de nombreux ordinateurs sont branchés sur des canaux alternatifs comme Télégram. Cette révolte souligne le troisième anniversaire de soulèvements contre la hausse des prix du pétrole et de l’inflation au pays.

Les Iraniennes et les Iraniens sont dans la rue depuis 3 mois. «Ils ne veulent plus de réformes. Ils veulent un changement complet de gouvernement, ils veulent la laïcité, la démocratie, la liberté», dit Mme Machouf. En date du 17 novembre, près de 400 personnes étaient décédées dans la rue aux mains de l’État, dont plus de 40 mineurs. 15 000 personnes ont été arrêtées. 4 sont condamnées à mort, et le reste d’entre elles demeurent condamnables.

Les Iraniens et Iraniennes de Montréal ont fabriqué une carte sur le mur de la salle ou se tient la veille médiatique. Les papiers verts représentent les manifestations, les jaunes représentes des frappes, et les rouges représentent des victimes de l’État. Crédit photo: Ismaël Koné, Journal Métro.

Face aux révoltes et à cette tentative de la population de prendre le pouvoir, la diaspora iranienne de Montréal ne pouvait pas rester tranquille, ne rien faire. «C’est pour ça qu’on a organisé cette cellule de veille médiatique, cette chambre d’écho de se qui se passe en temps réel en Iran», explique Nimâ Machouf.

La révolte iranienne actuelle sera la «première révolution féministe», disait Nimâ Machouf à Métro, en octobre dernier. Crédit photo: Ismaël Koné, Journal Métro

Connaître la vérité malgré l’opacité

L’internet est bloqué en Iran depuis le début des soulèvements, rappelle Hanieh Ziaei, iranologue et chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand. Heureusement, les jeunes révolutionnaires iraniens «sont très fort sur les nouveaux moyens de communication», souligne Nimâ Machouf.

Mme Ziaei rappelle que la langue persane est la quatrième la plus utilisée dans le cyberespace : «les Iraniens, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, sont très connectés, il y a tout un relais d’information.»

«Je ne peux pratiquement pas être en contact avec ma famille, à cause du contrôle d’internet par le gouvernement», indique Diana, une étudiante à McGill iranienne présente à la veille médiatique mercredi soir. Elle ne voulait pas donner son nom de famille pour protéger ses proches, restés en Iran.

Les Iraniens expatriés utilisent donc ces médias alternatifs, des messageries critpées et des VPN pour informer leurs proches, qui eux tentent de relayer et analyser l’information. Pour s’assurer de la véracité des nouvelles qui leur parviennent, ils échangent, comparent, vérifient avec des contacts différents, explique Mme Machouf.

Les citoyens journalistes font un travail d’archivage. Ils s’organisent pour faire circuler l’information. Il y a aussi des OBNL en Iran et des organisations qui défendent les droits humains [qui font circuler] l’information malgré les blocages et malgré la répression. 

Hanieh Ziaei, iranologue et chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand.

Les 15 000 condamnés, une fausse fausse nouvelle?

En début de semaine, le premier ministre Justin Trudeau a publié sur Twitter que 15 000 Iraniennes et Iraniens étaient condamnées à mort. Le gazouillis a ensuite été supprimé. De nombreux médias ont affirmé qu’il s’agissait d’une fausse nouvelle.

«La source de cette nouvelle, explique Nimâ Machouf, c’est que le parlement iranien a décidé que tous les protestataires qui sont arrêtés dans la rue devaient être condamnés.» Bien que les 15 000 prisonniers ne le soient pas officiellement, «la chose demeure très grave […], les prisonniers sont à risque parce que le parlement veut les exécuter», rappelle-t-elle.

Selon la chercheuse de la Chaire Raoul-Dandurand, le ton est donné. Les protestataires mourront soit dans la rue, soit en prison. On en connaît d’ailleurs très peu sur les conditions carcérales en Iran, souligne-t-elle.

On imagine mal qu’ils vont avoir un procès. La décision est déjà donnée: [ils sont] des ennemis de l’État. 

Hanieh Ziaei, iranologue et chercheuse à la Chaire Raoul-Dandurand.

«On devine, dit-elle, car on reçoit des témoignages et des images, qu’il y a [de la] torture physique et psychologique. On sait que la prison en Iran est un milieu où il n’y a aucune limite, aucun droit. On peut s’imaginer le pire.»

«Est-ce qu’elles vont toutes être exécutées, on ne sait pas», avoue Mme Ziaei, mais «peu importe le nombre de personnes [condamnées à mort], c’est l’acte lui-même qui est condamnable». Elle rappelle que cela fait maintenant 43 ans que l’État iranien bafoue les droits humains, que ce n’est pas la première fois que des manifestants sont emprisonnés et exécutés.

L’art et les autres comme réconfort

La communauté iranienne a utilisé, au courant de la semaine, cette petite salle de la rue Sherbrooke comme lieu de rencontre. Les gens entraient et sortaient comme ils le voulaient. Il participaient à la veille des réseaux sociaux, mais aussi à des soirées de poésie et de création d’œuvres d’art à l’image de la révolution.

Une œuvre d’art représentant les contraintes légale enchaînant les femmes iraniennes. Crédit photo: Ismaël Koné, Journal Métro

«Des gens ont dormi ici, indiquait mercredi Nimâ Machouf. Il y a des gens qui arrivent à 4h du matin, donc à toute heure de la journée il y a des gens qui viennent, se ressourcent, puis repartent», en quête de réconfort et de soutien.

«Venir ici ne me permet peut-être pas d’être [en contact avec mes proches], mais tous ceux et celles qui viennent ici sont comme des membres de ma famille,» dit Diana, immigrante iranienne et étudiante à McGill. Elle-même a perdu une proche aux mains de l’État, une jeune de 16 ans à qui elle enseignait l’anglais en Iran.

Ce qui se passe est extrêmement grave. [Mardi], un jeune qui était ici nous disait qu’il avait passé la nuit à pleurer parce que deux de ses amis lui avaient envoyé leurs testaments… leurs testaments! Parce qu’ils allaient manifester!

Nimâ Machouf, femme politique et épidémiologiste d’origine iranienne.

Diana souligne la diversité «magnifique» et enrichissante au sein même de la communauté iranienne. «Il y a des gens de tous les horizons» indique-t-elle. D’ex-prisonniers politiques côtoient des gens qui ont émigré récemment pour étudier et d’autres qui sont à Montréal depuis bien avant la révolution de 1979.

Une discussion animée lors de la soirée de poésie, organisée mercredi dans la salle de veille médiatique. Crédit photo: Ismaël Koné, Journal Métro.

Hanieh Ziaei souligne la mobilisation impressionnante de la communauté iranienne de Montréal, «qui est très solidaire» et qui met l’art de l’avant dans un rejet commun de la République islamique d’Iran.

Des manifestations se déroulent chaque samedi après-midi à Montréal et plusieurs évènements mettant l’art de l’avant sont organisés par les membres de la communauté iranienne de la métropole.

Inscrivez-vous à notre infolettre et recevez chaque semaine un résumé de l’actualité de Montréal-Nord.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.