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Une attaque frontale contre le peuple québécois

CHRONIQUE – Justin Trudeau surprenait la classe médiatico-politique ce week-end en annonçant la volonté de son gouvernement de se tourner vers la Cour suprême dans l’objectif – avoué – de baliser la disposition dérogatoire*.

Dixit le premier ministre fédéral:

«Il devrait y avoir une conséquence politique à la suite d’une telle décision. Mais on est en train de vivre une certaine banalisation de cette suspension des droits. Et quand tu combines cela à la montée du populisme un peu partout dans le monde, on voit qu’il y a des préoccupations sur ce qui pourrait être fait.»

Ceci, sans surprise, devait déclencher le nouvel épisode du film «Déchirons les chemises de la Nation», classique indémodable depuis l’époque duplessiste.

Qualifiant la manœuvre «d’attaque frontale contre le peuple québécois», François Legault ajoute: «C’est à l’Assemblée nationale de décider des lois qui nous gouvernent en tant que nation. Le Québec n’acceptera jamais un affaiblissement pareil de ses droits. Jamais!»

Enfin: «Je rappelle qu’aucun gouvernement du Québec n’a adhéré à la Constitution de 1982, qui ne reconnaît pas la nation québécoise.»

Quant à Paul St-Pierre Plamondon, Trudeau souhaite «renverser nos choix démocratiques par un gouvernement de juges choisis par lui-même». Plus encore: «[Il]| a nommé cinq des neuf juges de la Cour suprême; des nominations politiques, fondées sur le conformisme à l’idéologie trudeauiste.»

Un cliché – sinon sophisme – après l’autre, donc. Rien de bien original ni de factuellement exact.

D’abord: qui, ici, nie le pouvoir de l’Assemblée nationale de déterminer notre corpus législatif? Personne. Reste que, dans un État de droit qui se respecte, le pouvoir parlementaire ne peut être considéré comme une fin en soi. Des limites ou garde-fous sont ainsi nécessaires afin d’éviter les conséquences de la formule de Lord Acton: le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument. Sachant au Canada la fusion presque symbiotique entre gouvernement et législature, demeurent donc, comme seuls arbitres, les tribunaux.

Ensuite: possible que Legault l’ignore, mais la question de la dérogatoire touche également celle prévue à la Charte québécoise, adoptée avant la Charte canadienne, et n’ayant aucun lien avec le rapatriement de 1982.

Troisièmement, et peut-être surtout: quand Legault parle «d’attaque contre le peuple québécois», voilà une bien indigente vision de la démocratie. Parce que ce même peuple, n’en déplaise à l’auto-proclamé-Chef-de-la-nation, ne constitue en rien un bloc monolithique. La pluralité, notamment d’opinion, réside à l’épicentre de notre société. Si oui, pour l’instant, une majorité de l’électorat appuie toujours la Loi 21 (entre 55% et 65%, dépendamment des périodes et des volets en question), reste que, mathématiquement, une portion non négligeable la refuse tout autant. Cette dialectique, plutôt qu’être honnie, devrait plutôt être chérie. Parce qu’elle assure, justement, la vitalité démocratique.

Enfin, quant à la boutade du chef du Parti québécois, rappelons-lui ceci: le fait d’avoir nommé une majorité des juges d’un tribunal n’est garant de rien, l’indépendance de la magistrature étant l’un des socles de nos États de droit. Quelques illustrations toutes canadiennes:

•            Malgré une Cour suprême où il avait sélectionné huit des neuf juges, le gouvernement Harper s’est ramassé par celle-ci baffe après baffe, quasi systématiquement, incluant dans les litiges Québec-Ottawa.

•            Dans le Renvoi sur la sécession du Québec, dont les souverainistes vantent aujourd’hui encore les mérites de «l’obligation de négocier», la Cour était présidée par un ami de Trudeau père et ancien président du Parti libéral du Canada (section Québec), Antonio Lamer.

•            Mieux encore: si Trudeau fils devait effectivement procéder à un renvoi sur la dérogatoire, il demanderait ainsi à la Cour suprême de renverser son précédent dans l’arrêt Ford, rendu par un banc principalement composé de… juges nommés par Trudeau père. Ironie nec plus ultra.

En ce qui concerne le «renversement de nos choix démocratiques», on citera à PSPP l’une des plus belles de Camus: la démocratie n’est pas la loi de la majorité, mais bien celle de la protection des minorités.

Morale de l’histoire? Que l’État de droit, la démocratie et l’indépendance judiciaire, c’est du précieux. Faisons gaffe d’en miner, par des boutades démago-populistes, l’éthos.

*Nouvelle divulgation de mon biais idéologique: j’adore l’idée, moi qui conteste devant les tribunaux l’usage actuel des dérogatoires.

Fin de la divulgation. Et de la chronique.

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