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Le Québec que j’aime

CHRONIQUE – Le débat sur Roxham, comme jamais enflammé, allait mettre en exergue, sinon creuser davantage, une fracture déjà souffrante: celle posée entre les vrais Québécois… et les autres.

Pas une journée ne passe, en fait, sans que la boutade ou insulte ne soit catapultée.

– T’aimes tous les peuples, sauf le tien!

– Hein?

– Ouais ouais. T’es comme Yves Boisvert pis le reste de la grosse presse: raciste envers les Québécois.

– Parce que?

– Vous êtes des fossoyeurs de la nation, des multiculturalistes. Vous passez votre temps à nous mépriser, à nous cracher dessus, à encourager le Québec bashing. Tu contestes même la Loi 21 devant les tribunaux, faut le faire.

Quelques fois, passe encore. Mais la redondance force réflexion: suis-je moins Québécois, moins francophile ou moins amant de ma culture que Patriotefleurdelys21anti-woke, sévissant temps plein sur Twitter?

Tout dépend, bien entendu, de notre vision, préférences et posture.

Manifestement, mon Québec idéal est moins linéaire ou monolithique que celui proposé par la mouvance dite «identitaire», dont la genèse est simultanée à celle, peu glorieuse, de la fausse crise des accommodements raisonnables.

Je devrais pourtant, génétiquement et culturellement parlant, être partie prenante du «Nous».

Parce que je suis né en région, précisément à Mont-Laurier, au fond des bois.

Parce que chez mes origines maternelles, on retrouve des coureurs des bois et autres draveurs. Du côté paternel, des cultivateurs. Dans les deux cas, tout ce qu’il y avait de braves, défiant les hivers alors impossibles, la misère et un clergé intraitable. Canadiens français, cathos et blancs, typiques du terroir d’antan. Tissés serrés, dans le tapis.

Issu par extension de ces mêmes racines, pour lesquelles j’ai assurément affection, respect et parfois nostalgie, reste que le pluralisme m’excite de façon équivalente.

J’adore enfiler les bières avec Gilles Proulx, qui me raconte avec précision les contours d’histoires, souvent hilarantes, vécues.

Idem avec Mitch Garber, gin tonic à l’appui, lequel m’explique, en français et amour du Québec en filigrane, ses propositions pour celui-ci.

Je suis un fan fini de Leonard Cohen, plus grand artiste québécois de tous les temps, si on me demande. Pour sa musique, certes, mais aussi sa poésie ou bouquins, racontant un Montréal anglo, franco, juif ou catho, ou ses amitiés avec Armand Vaillancourt (allô, Suzanne). Vous avez entendu sa version de La Manic, de Georges Dor? Faut.

Je suis, simultanément, maniaque d’Offenbach, sur lequel je prépare d’ailleurs un bouquin avec Johnny Gravel, son co-fondateur.

J’ai étudié à la francophone UdM, et l’anglo McGill. Enseigné, aussi. J’adore les deux. Match nul.

J’aime la générosité québécoise, son ouverture, sa curiosité. Les histoires d’un René Lévesque accueillant, malgré les réticences d’Ottawa, des boat people vietnamiens.

Celles de mon oncle Gilles qui avait traîné des musiciens anglo-antillais dans un mémorable party de Noël familial, où malgré l’imposante barrière linguistique, la fraternité et l’humanisme avaient prévalu.

Celles de gens de mon patelin, qui m’écrivent aujourd’hui pour m’annoncer parrainer des familles de réfugiés ukrainiens ou syriens, ou encore loger des infirmières en provenance du Maroc, arrivées en renfort.

Celles de tout.e immigrant.e dans mes classes de droit, qui racontent leurs pays, leurs origines, leurs régimes politiques et constitutionnels.

Celles d’un Yvon Lambert, qui me livre, regard vif, l’histoire de sa famille de St-Germain-de-Grantham.

Celles de tel animateur de radio du Maghreb qui m’invite à son show.

Celles de mon amie Maïtée et ses multiples histoires cries.

Celles des dizaines de troupes du Festival international de théâtre de Mont-Laurier, le plus gros du genre en Amérique et que j’ai eu l’honneur de présider jadis.

Celles des familles de la région ayant eu le plaisir de les parrainer, et avec lesquels ils sont d’ordinaire toujours en contact.

Voilà, en bref, le Québec que j’aime.

Celui qui accueille, qui ouvre les bras, et qui s’enrichit d’autant. 

Qui refuse la méfiance, la démagogie xénophobique et la répression des droits des minorités.

Qui ne panique pas en entendant parler arabe au Carrefour Laval.

Qui sait la fragilité du fait français, mais qui préfère lui témoigner son amour plutôt que de le résigner à une posture strictement défensive.

Mon Québec, je m’en confesse ici, est complexe, pluriel et humaniste.

Ça en fait une terre unique, un personnage d’exception.

Grand bien nous fasse de le préserver ainsi.

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