Je déteste le 8 mars
CHRONIQUE – Comme il est assez connu que je suis féministe, on pourrait s’attendre à ce que le 8 mars soit ma journée préférée. La seule journée de l’année où je ne suis pas amère devant les doubles standards persistants, celle où je vis dans l’allégresse des portes qui s’ouvrent devant nous, les Femmes. En fait, c’est la pire (après la trentaine de journées de SPM qui rendent évidemment mon humeur imbuvable pour moi-même et pour ceux qui m’entourent).
J’imagine déjà les gens se dire : «jamais contentes, vous autres, les féministes, même quand c’est votre journée!»
Pour illustrer comment le 8 mars peut s’avérer pénible pour une féministe, imaginez qu’on aurait une journée internationale des droits des pauvres, et que cette journée-là, on la passait à dire des trucs du genre : «Bravo, les pauvres! Vous êtes vraiment courageux d’être pauvres! J’en reviens pas comment vous faites pour vivre votre vie tout en étant des pauvres! C’est tellement cher, la vie! Moi, j’ai un ami pauvre, et je le soutiens! Et surtout, c’est important de rendre hommage à tous les pauvres qui m’entourent: Paul, Steven, Barbara, Michel… Je ne serais pas la personne riche que je suis sans tous ces pauvres autour de moi».
Tout ça au lieu d’abolir la pauvreté. C’est un peu comme ça que sonnent à mes oreilles les paroles bienpensantes que l’on nous sert le 8 mars. C’est trop souvent l’apogée d’un féminisme opportuniste, qui se fait du capital de sympathie – ou du capital tout court – avec des campagnes consensuelles et sans conséquences. On te donne congé de vaisselle ce soir, ma chanceuse. On t’offre un bel aspirateur à rabais. Un 2-pour-1 sur les cosmos, ou sur ta prochaine sortie entre girls au spa, pendant que papa garde les enfants. On te donne une belle tape dans le dos pour te féliciter pour tout le travail non rémunéré que tu te tapes sans rouspéter, parce que c’est dans ta nature (pis anyway, t’es jamais contente quand c’est moi qui fais le lavage : dans le fond, c’est toi qui résistes).
Ce jour-là, être féministe, c’est cool. Surtout si ce n’est pas trop rabat-joie, si ça ne dérange pas trop. Tout le reste de l’année, les féministes frustrées, celles qui s’indignent devant l’écart salarial, les féminicides, la charge mentale, la violence conjugale, le manque d’accès à l’avortement, les différences d’opportunité, la culture du viol, l’oppression des femmes, de toutes les femmes, sont traitées comme de vieux sacs à ordure (mal baisés évidemment).
Je déteste le 8 mars parce que je voudrais que l’on considère les femmes et leurs besoins tous les jours de l’année.