La génération Z devient rétro: retour fracassant des téléphones «idiots» à clapet
Le bon vieux téléphone à glissière ou à clapet est tendance chez la génération Z.
Mais qu’est-ce que des jeunes nés entre 1997 et 2010 élevés avec un téléphone intelligent peuvent bien trouver à des appareils « moins intelligents », pour ne pas dire carrément « idiots ? »
Bien que cette tendance puisse sembler contre-intuitive dans une société si technophile, un forum Reddit consacré aux « téléphones idiots » ne cesse de gagner en popularité. Selon la chaîne de télé CNBC, les ventes de téléphones à clapet sont en hausse aux États-Unis.
Il s’agit de la plus récente manifestation de l’obsession de cette génération pour les technologies obsolètes tels les appareils photo jetables et les vieilles dactylos.
Plusieurs raisons y concourent : la nostalgie d’un passé idéalisé, la désintoxication numérique et des préoccupations croissantes pour la protection de la vie privée.
Le pouvoir de la nostalgie
La nostalgie est une émotion complexe qui consiste à renouer avec les émotions et les souvenirs positifs d’un passé idéalisé.
Depuis longtemps, les spécialistes en marketing ont appris à jouer avec ce puissant levier pour soulever des émotions positives. Ils savent désormais l’utiliser comme stratégie au cœur de campagnes pour créer un lien émotionnel avec les consommateurs.
Selon de nombreuses études, la nostalgie a le pouvoir d’inciter les consommateurs à payer davantage, d’augmenter les intentions d’achat et d’accroître leur engagement vis-à-vis d’une marque dans le monde réel ou le cyberespace.
La nostalgie joue à plein dans le cas des téléphones pliables, qui évoquent le souvenir d’une ère révolue en téléphonie mobile.
Cette nostalgie fonctionne aussi bien avec la jeune génération que les plus vieux, pour qui ce type d’appareil était le nec plus ultra de la modernité. Nokia est un exemple d’entreprise qui a parfaitement compris le potentiel publicitaire.
Une publicité YouTube du Nokia 2720 V Flip montre comment les marques utilisent le marketing de la nostalgie pour attirer les clients et stimuler les ventes de produits.
La lecture des commentaires de cette vidéo démontre à quel point les objets du passé produisent des réminiscences sur un « âge d’or » ou une « époque dorée », en particulier chez les générations plus âgées.
« Mon premier téléphone était un Nokia 2760 ! C’était un téléphone à clapet. Que de bons souvenirs », lit-on. Un autre écrit : « Je l’achèterai certainement pour me rappeler le bon vieux temps. Quand la vie était facile. »
Désintox numérique
Une autre raison d’acheter des téléphones à clapet vise à réduire le temps passé devant l’écran. La « désintoxication numérique » décrit le processus par lequel une personne s’abstient d’utiliser ses appareils électroniques afin de renouer avec des relations sociales dans le monde physique et réduire son stress.
En 2022, les Américains passaient plus de 4,5 heures par jour sur leurs appareils mobiles. Les Canadiens adultes ont déclaré consacrer 3,2 heures par jour devant des écrans en 2022. Les enfants et les jeunes passaient environ trois heures par jour devant un écran en 2016 et 2017.
L’utilisation excessive des téléphones intelligents engendre de nombreux troubles, comme l’insomnie. Un peu plus de la moitié des Canadiens consultent leur appareil avant de s’endormir.
La lumière bleue des écrans supprimerait la production de mélatonine, entraînant un mauvais sommeil et d’autres effets physiologiques, notamment l’hyperglycémie, l’hypertension et l’affaiblissement du système immunitaire.
L’hyperconnectivité numérique et la pression pour répondre instantanément peuvent entraîner des niveaux accrus d’anxiété et de stress. Dans un monde de télétravail postpandémique, le fait d’être constamment en ligne réduit la socialisation et affecte négativement les relations personnelles et les compétences sociales.
Les téléphones intelligents, par leur nature multitâches et celle de leurs applis comme TikTok, créent un martèlement numérique quasi constant qui affecte la capacité d’attention. D’après mes observations personnelles en classe, les étudiants peinent à se concentrer pendant des périodes prolongées.
Les gestes répétitifs produisent également une série de problèmes physiologiques nouveaux parfois très douloureux comme le syndrome du texteur (au niveau du cou) et la tendinite de de Quervain (qui affecte les pouces).
Devant les effets secondaires potentiels d’un temps d’écran débridé et d’une connectivité numérique constante, certains choisissent de se désintoxiquer numériquement. Les téléphones à clapet, parce qu’ils réduisent l’intensité du bruit numérique, permettent d’établir une relation plus équilibrée avec la technologie.
Et la vie privée
Les fonctions très avancées des téléphones intelligents permettant de stocker une énorme quantité de données personnelles à travers les fonctions de géolocalisation, la caméra, le micro, le nuage, etc.
De plus en plus d’utilisateurs se préoccupent de la manière dont ces données sont collectées, partagées et utilisées par les entreprises et les plates-formes en ligne. Ces informations, qui servent à des publicités archiciblées, peuvent conduire au vol ou la divulgation de données sensibles.
En réaction à cette inquiétude légitime, bien des utilisateurs prennent les choses en main pour limiter de manière créative la quantité de données collectées sur eux.
La faible capacité de stockage des téléphones à clapet, et le nombre réduit de fonctions, en fait une option attrayante pour quiconque se préoccupe de sa vie privée et des risques de violations ou de surveillance abusive.
Les téléphones intelligents ne sont pas démodés pour autant. Des millions d’appareils sont encore livrés chaque année dans le monde. Mais l’on verra de plus en plus d’utilisateurs réserver leur téléphone intelligent à certains usages, leur téléphone à clapet pour d’autres. Ils protégeront leur vie privée et accompliront leur désintox numérique sans sacrifier leurs médias sociaux.
Omar H. Fares, Lecturer in the Ted Rogers School of Retail Management, Toronto Metropolitan University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.