Le fisc mène une «chasse aux cryptosorcières»
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a décidé de contrôler avec un zèle tout particulier les détenteurs de monnaies virtuelles. La communauté crypto bruisse de rumeurs et de craintes en tous genres.
L’ARC avait déjà inclus les cryptomonnaies comme sources de menaces dans sa Stratégie relative l’économie clandestine 2018-2021 et entendait analyser leurs répercussions. Le fisc canadien se penche désormais directement sur le cas de contribuables manipulant bitcoins et autres altcoins avec une attention méticuleuse.
L’unité de l’ARC dédiée aux cryptomonnaies mène actuellement plus de 60 audits sur des personnes en contact avec les cryptos, a confirmé l’agence fédérale à Kyle Torpey, un spécialiste des blockchains, dans le magazine Forbes.
Afin de protéger l’intégrité de ses processus d’évaluation des risques, l’ARC a évidemment refusé de commenter les informations ou même de préciser les critères qu’elle utilise pour sélectionner les profils examinés.
Cela dit, des copies des documents formels ont récemment fuité sur les réseaux sociaux. Il s’agit notamment d’un questionnaire envoyé dans le cadre de l’enquête, comprenant 13 pages d’interrogations sur les cryptomonnaies.
Les questions et sous-questions couvrent, de façon plus ou moins intrusive, les différents aspects de ce marché émergent, du minage de jetons numériques aux échanges entre particuliers, en passant par l’utilisation des guichets automatiques et les éventuelles participations aux ICO [initial coin offerings, c’est-à-dire, les premières émissions de cryptomonnaies non-réglementées].
«Je n’ai jamais vu de tels questionnaires pour aucune autre monnaie ou commodity. Ils semblent avoir inventé tout ceci spécifiquement pour bitcoin», a confié à Métro un entrepreneur crypto montréalais abasourdi par la nature de l’interrogatoire.
L’un des sujets de la déclaration porte ainsi sur le recours à des services de «mixage», qui permettent de brouiller les origines des fonds de cryptomonnaie et d’améliorer la confidentialité des utilisateurs. L’ARC demande à ce propos de fournir un historique des opérations ainsi que toutes les adresses «mixées».
La question suivante demande d’ailleurs à la personne auditée si elle utilise ShapeShift ou Changelly, deux services connus pour permettre l’échange d’actifs cryptographiques sans lier leurs transactions à une identité du monde réel.
Le questionnaire va jusqu’à demander au contribuable d’inventorier toutes ses adresses cryptos publiques. Et l’ARC conclut en précisant qu’il ne s’agit pas d’un questionnaire exhaustif et qu’elle se réserve le droit de demander des informations complémentaires.
«Ça ressemble à une chasse aux cryptosorcières», a assuré un courtier québécois, hésitant quant à sa référence historique entre les procès de sorcellerie à Salem et la campagne anticommuniste de Mc Carthy. «On dirait bien que les autorités cherchent à nous tenir à l’écart des affaires», a-t-il ajouté.
Soulignons moins émotivement que le fisc canadien traite la cryptomonnaie comme une marchandise au regard de la Loi de l’impôt sur le revenu. Tout revenu provenant d’opérations en devise numérique sera, selon les circonstances, considéré comme un revenu d’entreprise ou un gain en capital. Encore faut-il le déclarer correctement. Pour expliquer comment s’acquitter de ses obligations, l’ARC a élaboré un guide du traitement fiscal des cryptomonnaies.
En règle générale, une cryptomonnaie, qui n’est pas un titre canadien, n’est pas imposable, sauf dans le cadre d’opérations telles que la vente ou le don, l’échange, la conversion en devise émise par le gouvernement ou encore l’achat de biens ou de services.
Dans son guide, l’ARC recommande entre autres que le contribuable tienne des registres de ses opérations (date des transactions, reçus, valeur en CAD, motif…) pour une période minimale de six ans.
«Il est illégal de ne pas déclarer tous les revenus obtenus de sources canadiennes ou étrangères. Les Canadiens doivent savoir que l’ARC travaille très activement à contrer les cas d’inobservation», a rappelé à qui veut l’entendre l’agence fédérale.