L'industrie du jeu vidéo tourne son regard vers le Québec
La Cité du Multimédia fête cette année ses 10 ans. En 1998, le gouvernement du Québec lançait l’idée de réorienter vers une industrie d’avenir un quartier laissé à l’abandon.
Dix ans après ce nouveau Klondike, un quadrilatère situé près du Vieux-Port de Montréal formé par les rues de la Commune, Duke, William et King, a totalement changé de visage. En plus de ce programme immobilier tourné vers le multimédia, le gouvernement du Québec a fait le pari, à coup de crédits d’impôt à la production, d’attirer l’industrie du jeu vidéo dans la ville.
L’évolution de la Cité
Les bâtiments désaffectés de l’ancien faubourg des Récollets se sont alors radicalement transformés, mais la mayonnaise économique n’a jamais vraiment pris. Ainsi, la mesure fiscale de la Cité du Multimédia sera abolie en 2003. «La Cité du Multimédia n’a pas apporté grand-chose. Il n’était pas équitable que deux entreprises ayant la même activité ne puissent pas avoir les mêmes avantages, du seul fait de leur situation géographique dans la ville», explique Pierre Proulx, le directeur général d’Alliance Numérique, à Montréal.
«Le crédit d’impôt à la production numérique a été quant à lui plus bénéfique», ajoute-t-il. Est-ce l’élément déclencheur ou pas? Une chose est certaine, c’est que depuis, la ville aux cent clochers est devenue La Mecque du monde du multimédia. Concepteurs et programmeurs du monde entier viennent tous les jours poser leurs valises à Montréal pour répondre aux offres d’emploi qui semblent ne jamais devoir se tarir.
Cependant, avant la Cité du Multimédia, le gouvernement avait déjà ciblé le gros potentiel de l’industrie du jeu vidéo.
Ubisoft en premier
En 1997, la filiale de l’entreprise française Ubisoft est attirée par les largesses fiscales du Bureau de la nouvelle économie (BDNE) de Bernard Landry. Une année plus tard, l’idée originelle se transformait en Cité du Multimédia. Entre- temps, Ubisoft s’installait au 5e étage de son immeuble, au 5505, boulevard Saint-Laurent. La société en possède la totalité aujourd’hui.
«Ce programme de crédit d’impôt à la production a joué un rôle dans la décision de nous installer à Montréal. Mais l’expérience montréalaise, une première dans l’industrie du jeu vidéo, a inspiré d’autres États et d’autres villes», explique Cédric Orvoine, responsable des relations publiques chez Ubisoft, avant de préciser que «les avantages fiscaux seuls ne suffisent pas à faire grandir l’industrie du jeu vidéo. Il fallait plusieurs autres ingrédients pour motiver notre venue. La spécificité culturelle de la province, à mi-chemin entre les États-Unis et l’Europe, la créativité que l’on retrouve à Montréal et le gros bassin universitaire, qui permet d’avoir plus de main-d’Å“uvre qualifiée, en font parti.»
Un secteur sans chômage
Parti de rien en 1997, Ubisoft voit, au bout de deux mois, ses effectifs atteindre 100 personnes, puis plus de 2 000 en 2005. La compagnie a même annoncé en début d’année qu’elle prévoyait un total de 3 000 emplois au Québec en 2013.
La concurrence n’a pas tardé à voir, dans l’évolution d’Ubisoft, que Montréal devenait un endroit incontournable. La québécoise Artificial Art & Movement (A2M), en 1999, les américaines Electronic Arts (EA), en 2003, et Eidos, en 2007, ont désiré eux aussi goûter aux saveurs de la ville. «Aujourd’hui, cela commence à être vraiment difficile pour ces entreprises de trouver de la main-d’Å“uvre qualifiée. Au Québec, il y a plus de 6 000 emplois autour du jeu vidéo, et les besoins sont environ de 700 personnes supplémentaires par année, alors qu’il n’y a que 500 diplômés», explique Pierre Proulx. Ubisoft, à lui seul, emploie 200 personnes par année au Québec. «L’avenir d’Ubi, c’est la croissance; l’objectif, c’est d’être le meilleur studio de développement de jeu vidéo au monde. Je pense qu’on n’est vraiment pas très loin», explique Cédric Orvoine.
En voyant de tels chiffres, l’industrie du jeu vidéo n’a rien à craindre pour au moins les 10 années à venir.
La parole à Mathieu Ferland, producteur senior d’Ubisoft à l’origine du jeu Tom Clancy’s Splinter Cell.
Qu’a apporté à Ubisoft le jeu Splinter Cell?
Splinter Cell a été une sorte de bougie d’allumage. Avant, les jeux d’Ubisoft Montréal n’avaient pas le même niveau d’ambition. Avec Splinter Cell, on sortait pour la première fois de ce contexte, pour rivaliser avec les jeux japonais ou américains, et ainsi obtenir la reconnaissance de l’industrie. À partir de ce moment, tout le monde a voulu
pousser la qualité de nos jeux. L’année suivante, il y a eu Prince of Persia, qui a reçu les éloges de l’industrie.
Montréal est-elle devenue une capitale du jeu vidéo?
Montréal est un hot spot. L’industrie parle beaucoup de Montréal. Évidemment, la Californie et le Japon ont une dimension particulière dans cette industrie. Mais le Québec se démarque par le talent et la créativité. Cette richesse fait de Montréal un endroit intéressant pour faire grandir l’industrie.
Quelles sont les différentes étapes de confection d’un jeu?
La méthode Ubisoft est d’identifier l’innovation, l’élément différenciateur qui va captiver le joueur. Il faut concevoir des prototypes visant à confirmer le potentiel. Une fois le feu vert donné, la pré-production débute, et on s’affaire à concevoir et à planifier tous les besoins nécessaires. On peut commencer à travailler la narration, le développement d’univers, de personnages … Ensuite, la pleine production, avec des équipes de 60 à 150 personnes, commence. Le processus complet prend de un à quatre ans avant d’atteindre le consommateur.