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Prénoms: pourquoi choisissons-nous tous les mêmes ?

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Jane Pilcher; Birgit Eggert; Katrine Bechsgaard - La Conversation

Pas d’inspiration avant (ou après) l’accouchement? Ou au contraire, faut-il suivre la tradition familiale? Qu’est-ce qui nous fait choisir les prénoms les plus courants pour nos enfants? Ces trois chercheurs vont tenter de répondre à la question.


Jane Pilcher; Birgit Eggert; Katrine Bechsgaard

ANALYSE – Le phénomène est courant: vous attendez un enfant et vous vous mettez à voir des prénoms dans votre soupe. Peut-être songez-vous à des prénoms jadis démodés qui ont retrouvé leur fraîcheur, comme ceux de vos grands-parents qui s’appelaient Evelyn et Arthur au Royaume-Uni, Alice et Léo au Québec, ou encore Rose et Gabriel en France.

Et peut-être, comme bien d’autres, tiendrez-vous vos discussions confidentielles pour éviter qu’on vous vole vos idées.

Et puis Alice ou Gabriel arrivent à la crèche, au CPE ou à l’école et leur prénom paraît soudain moins original. Il y en a trois par classe, et plusieurs autres dans la cour de récréation. Pourtant, lorsque vous aviez choisi, vous n’en aviez remarqué que très peu.

Selon le sociologue américain Stanley Lieberson, les parents ont tendance à opter pour les mêmes prénoms au même moment pour diverses raisons. Selon l’auteur de A Matter of Taste : How Names, Fashions, and Culture Change (Question de goût : Comment changent les prénoms, la mode et la culture — non traduit), les choix sont gouvernés par le goût plutôt que par la coutume depuis la fin du XIXe siècle. Or, les préférences générationnelles se ramènent à des changements sociétaux et à des courants culturels. En d’autres termes, le choix des prénoms suit les mêmes revirements progressifs typiques des effets de mode.

Mécanique des prénoms trop populaires

Habituellement, les prénoms qui nous attirent sont rarement ceux de notre propre génération ou celle de nos parents. Associés à trop de pairs, de professeurs ou de souvenirs, ils semblent trop «usés» pour être attrayants. Ça ne peut pas convenir à un beau nourrisson tout rose.

En revanche, les prénoms de la génération de nos grands-parents, voire des arrière-grands-parents, semblent plus attrayants. Des recherches au Danemark montrent que les prénoms de filles à deux syllabes se terminant par un «a» (comme Alma ou Clara) y ont gagné en popularité depuis 2000 — un siècle après le pic précédent. Au Québec et en France, on observe des tendances similaires.

Ce cycle de 100 ans est logique: nous avons peu de souvenirs associés aux prénoms de cette génération. Et même si les parents font l’effort de prénommer leur précieux nouveau-né avec quelque chose d’unique, leurs goûts sont souvent alignés sur ceux des autres parents de leur génération. En matière de préférences générationnelles, il en va des prénoms comme pour le goût en matière de mobilier, de musique ou de coiffures.

Bien sûr, tous les prénoms en vogue ne peuvent être rattachés à une génération particulière : la culture populaire joue également. Au Danemark comme au Québec, Liam n’avait jamais été un prénom courant jusqu’aux années 2000, lorsqu’il a commencé à figurer en tête des listes de prénoms de garçons. Cela pourrait s’expliquer par son association à des vedettes comme le rappeur Liam O’Connor, l’acteur oscarisé Liam Neeson ou le chanteur Liam Gallagher du groupe Oasis. Peut-être aussi parce que Liam est le diminutif de William, autre prénom très populaire au Québec.

En 1991, les Françaises ont accouché de 14 087 Kévin. Cette vogue soudaine serait liée à deux films immensément populaires sortis l’année précédente: «Danse avec les loups», mettant en vedette Kevin Costner, et «Maman, j’ai raté l’avion», dont le jeune protagoniste se prénommait Kevin.

D’autres courants culturels agissent également. Au Danemark, après la Seconde Guerre mondiale, des prénoms anglais comme John ou Tommy sont devenus à la mode sous l’influence des libérateurs de l’époque. Dans le monde francophone, l’anglomanie explique largement la mode des prénoms « internationaux» d’influence anglaise, comme Noah ou Emma. Aux États-Unis, on sent l’influence du mouvement des droits civiques. Chez les Afro-Américains, on préfère désormais le Kareem du basketteur et activiste Kareem Abdul-Jabbar, aux bons vieux prénoms bibliques comme Elijah et Isaac.

Et comme nos sociétés se diversifient comme jamais, des parents d’origines différentes auront tendance à opter pour des formules adaptables à plusieurs cultures, où l’héritage culturel passe au second plan après les goûts personnels.

Des tendances internationales

Comme pour toutes les tendances, la mode des prénoms varie d’un pays à l’autre — et d’une langue à l’autre. Le prénom le plus populaire au Québec depuis 25 ans, William, n’apparaît même pas parmi les 100 premiers prénoms en France.

Parfois, cependant, certaines tendances traversent les frontières physiques et linguistiques. Noah et Ella figurent dans tous les palmarès des prénoms au Danemark, en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni. Dans le monde francophone, on voit la même chose pour Arthur et surtout Emma. La vogue de ces prénoms touche tout le monde occidental depuis 25 ans.

Plus récemment, les recherches montrent que les lignes bougent quant aux perceptions sur le genre des prénoms. Dans le monde anglophone, il existe une tendance marquée pour des prénoms unisexes. Au Québec, par ailleurs, un prénom masculin comme Charlie se classe cinquième parmi les prénoms féminins (quoiqu’on observe rarement l’inverse pour des garçons).

La tendance aux prénoms composés évolue aussi diversement. Alors qu’ils ont presque totalement disparu au Québec, ils reviennent en force en Angleterre et au Pays de Galles (Ivy-Rose chez les filles ou Tommy-Lee chez les garçons), et ils commencent à réapparaître en France.

Chose certaine, si vous voulez réellement que votre prochain enfant se distingue, le prénom à pentures pourrait bien être la chose à faire — ou peut-être pas.

Jane Pilcher, professeure agrégée de sociologie, Nottingham Trent University; Birgit Eggert, professeure adjointe en études nordiques, Université de Copenhague, et Katrine Bechsgaard, chercheuse postdoctorale, Université de Californie, Berkeley

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La Conversation

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