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Quand devenir mère change la vision de son adoption

Les visages de l’adoption

Justine Boulanger se souvient peu de ses deux premières années de vie passées en Haïti, mais elle garde de vifs souvenirs de l’enfance heureuse qu’elle a vécue aux côtés de sa famille adoptive et passée entre la ville de Québec, le Grand Nord et le Saguenay.

Justine est née à Port-au-Prince en 1980 et a été adoptée en 1982 par une femme célibataire québécoise. Pendant longtemps, elle ne ressentait pas le besoin de se lancer dans une quête identitaire. C’est resté le cas jusqu’à ce que la maternité vienne bouleverser le concept du rapport mère-enfant qu’elle avait jusqu’alors.

Découvrir le regard d’autrui

«Enfant, j’avais l’impression de vivre dans un corps qui n’était pas le mien, parce que je m’identifiais avec toutes les personnes autour de moi, mais je ne leur rassemblais pas», confie-t-elle.

«Quand je me promenais dans la rue avec ma mère [adoptive], personne ne pensait qu’elle était ma mère.» Justine admet avoir été incommodée par le regard d’autrui, notamment lorsqu’elle a commencé à fréquenter l’école primaire à Québec.

Justine Boulanger à l’âge de deux ans avec sa mère adoptive. Photo : Gracieuseté

Le regard des gens a été plutôt déstabilisant pour la petite fille qui s’identifiait et se sentait entièrement québécoise.

Ça me dérangeait tellement que, rendue à l’adolescence, j’ai commencé à appeler ma mère par son prénom.

Justine Boulanger, adoptée en Haïti à l’âge de 24 mois

Être mise dans la case «diversité»

À son arrivée à Montréal à l’âge de 16 ans, Justine Boulanger a découvert pour la première fois une «diversité ethnoculturelle» qu’elle n’avait jamais vue. Elle nous confie avoir été déroutée par le fait que les gens présumaient qu’elle était une immigrante.

Cette période aura été éprouvante pour elle, qui «n’avait pas envie d’être vue comme quelqu’un qui vient d’ailleurs», se sentant ancrée davantage à son identité québécoise qu’à ses racines haïtiennes, depuis son plus jeune âge.

«En arrivant à Montréal, je me suis dit: “Mon Dieu, il y a beaucoup de Noirs!”» raconte-t-elle en rigolant. «Il faut dire que jusqu’à ce moment-là, la seule personne noire avec qui j’avais été en contact, c’était mon petit frère, adopté en Haïti, lui aussi.»

Justine Boulanger avec son frère cadet, tous deux adoptés en Haïti. Photo : Gracieuseté

Le souvenir d’une mère comme un baume sur le cœur

Sa réflexion sur son passé et sur l’adoption a beaucoup évolué lorsque Justine est tombée enceinte. «La maternité a tout changé pour moi!»

Prenant conscience de l’absence totale de souvenirs de sa vie avant le Québec, elle a voulu en savoir plus sur ses origines.

J’ai soudainement pris conscience de l’importance de porter la vie en dedans de soi et du fait d’avoir été liée à ma mère biologique pendant neuf mois. Ça a ouvert une porte que j’avais gardée fermée longtemps.

Justine Boulanger

«Le fait de savoir que ma mère a existé et qu’elle m’a peut-être aimée, ça a mis un baume sur mon cœur», confie-t-elle.

Se reconnaître dans ses enfants

L’arrivée de ses enfants a eu une incidence positive sur son cheminement personnel, alors qu’elle avait jusque-là passé sa vie «à ne ressembler à personne, physiquement», dans sa famille.  

«Le fait de me dire que je ne suis plus toute seule et que je peux léguer quelque chose à ma famille biologique a aussi mis un baume sur mon cœur.»

Contrairement à elle, son fils cadet s’est montré dès son jeune âge très intéressé par la généalogie familiale. «Il avait quatre ou cinq ans lorsqu’il m’a demandé où étaient ses grands-parents noirs et pourquoi le reste de la famille était blanche», raconte Justine. Aujourd’hui, elle se dit prête à accompagner son fils dans sa quête identitaire.

Justine Boulanger avec son conjoint et ses enfants. Photo : Gracieuseté

Retour aux sources

Justine Boulanger n’a jamais ressenti le besoin de retrouver sa famille biologique, un peu par crainte d’apprendre qu’ils soient décédés ou qu’ils ne veuillent pas la rencontrer. «Bien que j’aie une certaine curiosité, je ne ressens pas qu’il y a un trou à remplir dans ma vie.»

«J’aimerais beaucoup, par contre, aller voir mon pays. Je souhaite faire un premier voyage seule, sans mes enfants, parce que ça risque d’être très émotif», avoue-t-elle.

Aujourd’hui, Justine livre un témoignage sur son parcours dans l’ouvrage collectif La couleur de l’adoption, publié en 2018 par les éditions Alias. Ce livre donne une voix à trente-huit personnes adoptées, d’âges et d’origines diverses, résidant au Québec.

Elle est aussi présidente de L’Hybridé, un organisme québécois à but non lucratif qui aide les personnes adultes adoptées à briser l’isolement et à ouvrir le dialogue sur des sujets tabous liés à l’adoption.

Livre collectif La couleur de l’adoption, éditions Alias. Photo : Gracieuseté

Cette entrevue a été réalisée à l’école secondaire Jeanne-Mance du Plateau-Mont-Royal, fréquentée par Justine à son adolescence.

Ce texte a été produit dans le cadre de L’Initiative de journalisme local.

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