Montréal-Nord: des vidéos pour combattre les préjugés
Caméra à l’épaule, micro à la perche, des jeunes de Montréal-Nord s’initient à la production cinématographique et espèrent changer les perceptions au sujet de leur quartier au moyen d’une sorte de «petite séduction».
«Souvent, les gens qui se font une idée de Montréal-Nord associée aux crimes, à la pauvreté, aux gangs ou autres, ne sont jamais venus ici, estime Rodrigo Antonio Flutsch Ibarra.
Le jeune homme de 25 ans et d’autres jeunes Nord-Montréalais participent au projet de co-création Voix partagées. Avec l’appui technique de l’OBNL Funambules Médias, ils ont scénarisé et tourné quatre de cinq courts documentaires sur l’histoire, la scène artistique, la communauté, les jeunes et l’emploi.
«Dans les médias, on parle des crimes, de la pauvreté, des gangs et ça enterre tout le reste.»
– Rodrigo Antonio Flutsch Ibarra
Rodrigo en témoigne: il est facile de se faire une idée obtuse de Montréal-Nord. Avant d’y mettre les pieds, il vivait dans Saint-Michel. Le «Nord», c’était «l’ennemi». Mais en y emménageant, il a découvert des initiatives communautaires comme la coopérative alimentaire Panier futé et l’organisme Fourchette de l’espoir et est devenu bénévole.
«On veut déconstruire les préjugés. C’est terrible de dire à un enfant qu’il est une statistique parce qu’il vient de Montréal-Nord ou parce qu’il va à Calix [l’École secondaire Calixa-Lavallée], relève le membre du groupe Staff Lapierre, un groupe de résidents mobilisés.
La date et le format de diffusion des documentaires n’ont pas été déterminés. Les intéressés peuvent se renseigner sur la page Facebook de Funambules Médias.
Virée avec un rappeur historien
Dans chaque documentaire, un jeune Nord-Montréalais accompagne un invité. Le samedi 14 octobre dernier, Rodrigo a exploré le passé agricole de son quartier et les usages historiques de la Rivière-des-Prairies avec l’artiste hip-hop et historien de formation Webster.
Webster, originaire de Québec, connaissait déjà Montréal-Nord, par le biais de sa carrière d’artiste, mais aussi d’ateliers d’écriture rap qu’il tient depuis plusieurs années à travers la province et au sommet Hoodstock.
«Quand on parle de Montréal-Nord, y’a cette perception, partout au Québec, de la pauvreté et de tout ce qui vient avec. Je connais des enjeux de l’endroit, mais je sais aussi que les enjeux ne définissent pas les gens», pose Aly Ndiaye, de son vrai nom.
Le rappeur applaudi le projet Voix partagées. Même s’il n’a pas vécu les exactes mêmes réalités, il comprend le positionnement des jeunes vidéastes nord-montréalais.
«Je viens de Limoilou, un quartier de Québec où on a longtemps porté le même stigmate. Un endroit longtemps considéré comme mal famé», dit-il.
«On s’est battu longtemps pour faire connaître sa force et sa positivité, et faire comprendre aux résidents qu’ils n’ont pas à se sentir diminués.»
– Webster
Pour la vidéo portant sur l’art, le rappeur Samian a rencontré des artistes de Montréal-Nord. C’était une façon de montrer la fierté de jeunes artistes qui ne sont pas que rappeurs durs à cuire et des «thugs», souligne Rodrigo. «On a des artistes qui ont d’autres façons de s’exprimer, comme la poésie», fait-il valoir.
À l’intérieur comme à l’extérieur
Les capsules s’adressent tant aux gens de l’extérieur de Montréal-Nord qu’à ses résidents. Durant des ateliers de scénarisation, les jeunes ont évoqué comment les préjugés de la société québécoise concernant Montréal-Nord peuvent limiter les perspectives des jeunes du quartier, relate l’artiste-accompagnatrice qui soutient la démarche.
«Si toute ma vie, on me dit que dans le fond, je suis juste un thug, un gars de gang de rue, un gars qui ne pourra jamais avoir de job pis qui va finir sur l’aide sociale, un moment donné, si j’ai des difficultés à me trouver un emploi, à l’école ou autres, comme n’importe quel autre humain, je vais me dire que de toute façon, c’était destiné, c’était déjà prévu pour moi», illustre Emily Laliberté.
Artiste militante, Mme Laliberté a aidé des adolescentes d’un centre jeunesse à raconter leur histoire grâce à une exposition photolittéraire en juin et juillet dernier. Elle a aussi aidé de jeunes contrevenants à écrire un ouvrage collectif en 2015 et 2016.
«En changeant l’histoire, en en racontant une autre […], on peut se dire: « il y a d’autres modèles et ma vie n’est pas nécessairement ce que les médias de masse disent de moi. C’est ce que moi j’ai envie de dire de moi-même ».»
– Emily Laliberté
Le projet Voix partagées fait suite à l’étude des besoins et aspirations des citoyens du nord-est de Montréal-Nord. L’étude menée en 2014 par trois chercheurs universitaires pour le compte de l’organisation Parole d’ExcluEs identifiait la discrimination, les préjugés et la situation des jeunes comme de grands défis dans le secteur.
«Ce sont les jeunes qui ont décidé des thèmes des cinq capsules. Ce sont eux qui ont scénarisé, ils participent au tournage et une fois le tournage fini, ils donneront leurs idées au montage aussi. Et ils pourront aussi transmettre les connaissances qu’ils ont apprises», mentionne l’agent de mobilisation citoyenne Rigaud Saint-Amour.