UNIS, la patente à gosses
Les premières gaffes de Justin Trudeau, nommément une visite vacancière chez l’Aga Khan et les pressions exercées sur la ministre de la Justice et (surtout) procureure générale du Canada, dans l’histoire de SNC-Lavalin, avaient déjà de quoi laisser songeur.
Le présent scandale entourant l’organisme de «bienfaisance» UNIS relève toutefois d’une autre nature. En raison de son manquement aux règles éthiques et du modus operandi même de l’institution, à vrai dire. Parce que si UNIS se targue d’encadrement bénévole, de charité et autres valeurs chrétiennes, on apprend depuis peu que l’organisme revêt également – ô combien pratique – un volet «payant». Mieux: que le fric transite couramment, et sans trop d’obstacles, entre ses deux pôles.
J’ignorais jusqu’à tout récemment l’existence même de ce vecteur à bonnes actions, intéressées ou non.
Quelques discussions avec diverses bouches proches du cheval m’ont permis de mieux saisir l’essence de la bête.
– Ok, je veux bien, mais ça sert à quoi, ce cossin?
– À mettre en vedette des célébrités.
– Voilà qui est original. Et les discours prononcés?
– Une vraie blague. Genre trois minutes. Aucun contenu. Des trucs plein de vent, aux slogans creux. Par des gens essentiellement connus pour l’être (connus).
– Et qui finance, d’ordinaire?
– Les classiques bienfaiteurs canadiens. Et on les attire justement du fait des vedettes qui s’associent à l’organisme. Idem, bien entendu, des contacts importants des deux frères fondateurs avec le politique.
– Une patente à gosses de faiseux, essentiellement.
– Pas mal ça.
Sans vouloir être bête, pas trop surprenant que Justin Trudeau ait, depuis le début manifesté un intérêt pour UNIS. Parce le premier ministre aime, assurément plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs, les trucs de «célébrités», le jet-set et autres gugusses de stars préfab. Alors de juxtaposer cet univers à celui d’une promesse, tangible ou non, de contribution au développement des jeunes – une autre de ses marottes, noble celle-là – constitue très certainement le Saint-Graal du néo-trudeauisme.
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Les partis d’opposition ne pouvaient, bien évidemment, souhaiter meilleur scénario que la dernière boulette libérale. Particulièrement le Bloc et son chef, embêté jusqu’alors par une allégation anonyme de consommation de cocaïne et d’inconduite sexuelle.
On clame donc que Trudeau et Moreau devraient démissionner du fait de l’octroi à l’organisme, sans appel d’offres, d’un fonds de 900 millions à être géré par l’organisme (incluant quelques dizaines de millions en honoraires) afin d’encadrer des bourses de bénévolat dévolus aux jeunes canadiens. Du bénévolat… payant, donc. Voilà qui est original. Un peu comme un organisme de charité à buts lucratifs, j’imagine.
La responsabilité de chacun? D’avoir siégé en pleine séance du cabinet sur l’octroi en question. Pourquoi? Parce que tous deux affichent des liens, à degrés variables, avec l’organisme. Du côté du PM, son frère et sa mère ont été payés pour diverses conférences avant ledit octroi.
Conflit d’intérêts pur et simple? Le commissaire à l’éthique du Parlement le déterminera, mais loisible d’en douter. Parce que le contrat en question a été accordé après les conférences dispensées par les membres de sa famille, que celles-ci ont été rémunérées par du fric privé et non public, et que rien n’indique qu’il puisse s’agir de récompenses pour services rendus.
Un manque de jugement et apparence de conflit? Indubitable. Mais conflit comme tel? Potentiellement pas.
Pour le ministre des Finances, toutefois, les carottes sont, ou devraient, être cuites. Au moins parce que sa fille œuvre pour l’organisme, et que lui-même et des membres de sa famille ont voyagé, partiellement sur le bras de l’organisme, pour des visites n’ayant franchement rien à voir avec son job de ministre des Finances. D’aucuns diront qu’il a remboursé la somme due de 41 000$.
D’autres, dont moi, concluront à la tentative, pas trop subtile, de masquer la petite arnaque après-coup, une fois la main prise dans le sac. Nice try.
Par conséquent, la meilleure chose à faire pour Trudeau serait, sans contredit, de se délester de son (maintenant) encombrant ministre des Finances. Histoire de décréter une néo-norme de tolérance zéro en matière de copinage et trafic d’influences, réel ou d’apparence, celle-ci s’appliquant dès lors, et par la force des choses, à lui-même.