Violences sexuelles: une nouvelle vague écorche le milieu académique
Touchée depuis quelques jours par un raz-de-marée de dénonciations, la sphère académique n’en est pas à son premier scandale en matière de violences sexuelles. Cette fois, c’est à travers les réseaux sociaux que des victimes alléguées de violences s’attaquent à la «culture du silence» qui hante, selon elles, les couloirs des établissements d’enseignement de la province.
À l’instar des milieux du tatouage et de la culture, l’enseignement supérieur est lui aussi confronté à un important nombre de dénonciations en ligne ces derniers temps.
Au centre de ce raz-de-marée, le compte Instagram «Victims_voices_academia», sur lequel apparaissent depuis le début du mois de juillet des dizaines d’allégations envers des professeurs et des étudiants. Selon une administratrice de la page, il y avait une nécessité de dévoiler ces dénonciations «dans un milieu qui n’en est pas à son premier scandale».
«Les processus de plaintes [en enseignement supérieur] sont hautement opaques», soutient Claude* qui a souhaité garder l’anonymat par peur de représailles.
Il y a près de six ans, des professeurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) avaient retrouvé sur leur porte des collants référant à la politique de lutte aux violences sexuelles de leur employeur. Ces actes anonymes auraient été commis pour dénoncer les actes allégués des professeurs visés.
Deux ans plus tard et un an avant #MoiAussi, le corps policier de la Ville de Québec enquêtait sur des intrusions dans les résidences de l’Université Laval, lesquelles avaient mené à des agressions sexuelles.
Relations de pouvoir
Cofondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay s’est longtemps érigée contre «l’écart de pouvoir» entre enseignant et étudiant, qui facilite une mise sous silence de la victime à son avis.
«Vivre de la violence sexuelle en milieu étudiant vient aussi détruire des vies à très long terme. Si tu vis une agression de la part de quelqu’un qui est une éminence dans ton domaine d’expertise et qu’il te crée une mauvaise réputation, ça va te suivre tout le long de ta carrière», mentionne-t-elle.
Bris de confiance
Depuis 2019, au Québec, les établissements d’enseignement supérieur ont l’obligation légale d’adopter une politique de lutte aux agressions et au harcèlement. Ils doivent aussi fournir des «formations obligatoires» à leurs étudiants.
C’est l’adoption à Québec de ce qui est depuis devenu la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur qui a fixé ces balises en milieu académique. Les universités ont aussi mis sur pied des bureaux d’intervention dans la foulée du mouvement #MoiAussi.
Mais les dénonciations qui circulent désormais sur le Web prouvent, selon Mélanie Lemay, que ces mesures n’ont pas eu les résultats attendus.
Dans les bureaux institutionnels, raconte-t-elle, «on demande de récolter des preuves pour documenter la situation, ce qui revictimise les personnes survivantes. Et en parallèle, on a donné une influence démesurée à la confidentialité de la personne mise sous enquête.»
«Ça dissuade tout dévoilement», ajoute-t-elle.
Selon une autre cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles, Kimberley Marin, l’utilisation des réseaux sociaux vise à «protéger des victimes potentielles de leur agresseur».
«On sait qu’entre guillemets, le système, ça ne donnera rien», souligne celle qui est plutôt passée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour dénoncer des violences tenues à son endroit à l’École des technologies supérieures (ETS). En 2019, elle remportait sa cause.
Attirer l’attention
Le compte «Victims_voices_academia» souhaite mettre sur la place publique les plaintes qui n’ont pas abouti dans un bureau institutionnel, affirme Claude*. Elle se réjouit que les dénonciations publiées sur sa page aient généré une réaction des universités.
«Ça ne donne pas le choix aux institutions», croit-elle.
À mesure que des noms sortaient sur les réseaux sociaux dans les dernières semaines, plusieurs universités ont fait part de leur réaction quant aux allégations. Dans une publication, l’UQAM affirme qu’elle «améliore ses pratiques pour faciliter le dépôt et le traitement des plaintes et renforcer la protection des victimes».
Jointes mercredi, l’Université Laval (UL), l’Université de Montréal (UdeM), McGill et Concordia ont toutes encouragé les étudiants et les étudiantes à contacter leur bureau respectif de traitement des plaintes.
«Ces ressources sont toujours disponibles, accessibles et gratuites, y compris durant cette période de crise sanitaire», écrit Patricia Cloutier, porte-parole de l’UL.
«Nous sommes conscients que d’entamer un processus officiel de dénonciation […] n’est pas chose facile et nous soulignons le courage des victimes, mais nous souhaitons réitérer que le [Bureau d’intervention] est justement là pour recevoir les plaintes et accompagner les victimes.» – Geneviève O’Meara, porte-parole de l’Université de Montréal
Aux yeux de Mélanie Lemay, cette nouvelle vague doit être un signal d’alarme pour les universités et les cégeps québécois.
«Si on ne profite pas de la vague actuelle pour donner un coup de barre, il va y avoir constamment des nouvelles vagues», dit-elle.
*Nom fictif