Georges Manoli: anecdotes d’un policier très spécial
Georges Manoli a été agent sociocommunautaire à Ahuntsic depuis l’ouverture du poste de quartier (PDQ) 27 du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en 1998. Retraité depuis peu, il décrit des facettes méconnues de sa carrière singulière de policier.
Pourquoi avoir choisi la police?
J’ai rejoint la police en 1990 au district 15 à Notre-Dame-de-Grâce. J’ai commencé comme patrouilleur après avoir enseigné sept ans comme professeur d’éducation physique dans une école primaire. Je suis passé de l’éducation de jeunes enfants à la confrontation avec des prostituées et des vendeurs de drogue.
Un changement de carrière étonnant.
On vivait en Alberta et on était revenu à Montréal quand nos enfants commençaient à grandir. C’est mon épouse qui avait appliqué pour que je devienne policier. Le SPVM recrutait à ce moment-là des gens d’âge mûr qui avaient d’autres expériences de vie.
À quel moment êtes-vous devenu agent sociocommunautaire?
On appelait les agents sociocommunautaires dans le temps les préventionnistes. Ils étaient liés à une section au centre-ville. La police cherchait du monde spécialisé là-dedans. En tant que maître en arts martiaux [M. Manoli est ceinture noire de karaté et judo], j’avais déjà écrit des manuels sur la sécurité des femmes et l’intimidation. Cela a toujours été mon dada.
Comment avez-vous atterri à Ahuntsic?
J’ai rejoint le PDQ 27 parce que mon chef chez les préventionnistes devenait commandant de ce poste. On a commencé à faire des choses très originales.
On avait un problème de vol de véhicules sur Chabanel. Il faut savoir qu’à cette époque les ateliers de couture étaient pleins et ça tournait à plein régime. C’était presque impossible de stationner sur cette rue. On avait une remorqueuse à temps plein sur place. Les patrouilles de police devaient se rendre souvent dans le coin.
Avec l’accord de mon commandant, j’étais allé dans les McDonald’s du quartier et j’ai posé des affiches; la police a besoin de bénévoles. Les appels rentraient à n’en plus finir. Les gens allaient aider les policiers. On leur donnait un dossard et ils allaient vérifier les portières ouvertes et les vitres baissées des voitures. J’étais dans ma voiture et aussitôt qu’ils trouvaient un véhicule ouvert, ils me faisaient signe et j’allais déposer un billet. C’était pour sensibiliser le monde au vol. Quand on est 15 dans la rue, cela représente une force de frappe impressionnante et les gens voient qu’il y a une présence policière.
Mais on a l’impression que l’agent sociocommunautaire ne fait pas un travail de policier.
On avait des plaintes pour prostitution dans un des motels du quartier. J’ai dit à mon chef, je vais aller travailler là-bas les vendredis soir, derrière le comptoir. On a pu voir comment les pimps réservaient deux trois chambres, mettaient des filles là-dedans et les clients arrivaient les uns après les autres. Le proxénète allait ensuite récupérer l’argent après chaque passage.
Pour faire face à un monstre, il faut comprendre comment il fonctionne. Il fallait savoir qui contrôle qui et quoi.
Mais votre travail n’est-il pas avant tout de l’information?
À l’ouverture du PDQ 27, j’avais proposé à mon chef d’organiser un atelier «connaître mon quartier», mais point de vue des policiers. On avait pris un autobus du SPVM qui pouvait embarquer 15 personnes et on était allé faire la tournée d’Ahuntsic pour montrer ce qui se passait sur la rue Chabanel, au métro Henri-Bourassa, sur la rue Lajeunesse. C’était vraiment populaire.
Vous étiez aussi dans les écoles.
J’avais fait un projet de plusieurs semaines dans une école secondaire avec des jeunes qui haïssaient les policiers. Je faisais avec eux une heure. La première demi-heure, c’était combat au sol avec policiers. Ensuite, ils jouaient aux policiers et on leur expliquait le métier. Pour le dernier cours, ils se battaient contre moi. Ils ont adoré parce qu’ils pouvaient battre un policier. À la fin, c’était incroyable comment ils changeaient leur perception de la police.
L’agent sociocommunautaire va aussi là où les autres policiers ne vont pas.
Une dame m’avait poursuivi en déontologie policière parce que je lui avais dit de ne plus appeler le 911, mais de m’appeler moi directement. Elle avait téléphoné à la police sept fois en deux semaines parce que son moustiquaire tombait. Elle attribuait cela aux Hells parce qu’il y avait une femme qui se prostituait dans son immeuble et il y’avait selon elle une guerre avec les gangs de rues. Elle a écrit une plainte de 21 pages sur un moustiquaire. Mais cette dame n’avait pas besoin d’un policier effectivement.
Si vous deviez résumer votre travail, vous diriez quoi?
C’est sensibiliser les gens aux situations et ce n’est pas toujours bien compris. Une maman m’avait appelé un jour pour qu’on présente un atelier sur l’intimidation dans l’école de ses enfants. Elle avait proposé cela au directeur de l’école et il lui avait répondu; ‘‘si on amène Manoli à l’école pour parler d’intimidation, cela veut dire qu’on a un problème’’.
Après plus de deux décennies à arpenter Ahuntsic, pensez-vous que c’est un quartier sûr?
Ahuntsic est calme et tranquille avec ses lieux problématiques, mais il s’est apaisé de plus en plus. Toutefois, dès qu’il y a une faiblesse, des problèmes peuvent surgir.
Pour un policier, c’est aussi un endroit où on goûte à tout. Les coyotes, les inondations, les aînés qui se font frapper par des voitures, les vols de et dans les véhicules, la violence conjugale, la prostitution, les problèmes dans les métros. Pour un policier qui débute, c’est une très bonne école.