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«Montrez nos matchs!»

WNBA
Shey Peddy du Mercury de Phoenix se prépare à tirer lors de la finale 2021 de la WNBA. Photo: Associated Press/Paul Beaty

Dimanche dernier, Radio-Canada Sports webdiffusait un match de la Women’s National Basketball Association (WNBA) sur son site web.

Il s’agissait d’un premier match de basketball professionnel féminin disponible gratuitement sur les écrans des Québécois. Alors que la grande majorité du marché de la diffusion sportive au Québec est consacrée au sport masculin, le diffuseur public prend le pari d’aller à contre-courant.

«Pour nous, c’est une façon de se démarquer dans le marché et de s’inscrire dans le mandat qu’on s’est donné», mentionne la première directrice des Sports à Radio-Canada, Catherine Dupont.

En effet, certains matchs de la WNBA étaient diffusés à TSN, ESPN et Sportsnet, mais aucune chaîne n’offrait la description en français. Radio-Canada Sports webdiffuse également des matchs de la National Women’s Soccer League (NWSL) , de la D1 Arkema et de certains événements de hockey féminin comme le Dream Gap Tour. Il s’agit là d’une manière de faire rayonner les athlètes féminines et de célébrer la diversité et l’inclusion dans le monde sportif.

«On fait le pari d’offrir un contenu peut-être moins “populaire” à la base, mais qu’en le diffusant, les gens vont s’y intéresser davantage. Il faut partir le bal.»

Quand on s’occupe d’une programmation, peu importe le diffuseur, on a un rôle à jouer. Il faut l’assumer

Catherine Dupont, première directrice des Sports à Radio-Canada

Quand visibilité rime avec revenus

Sébastien Arcand, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal et directeur associé au Pôle sports de l’établissement, voit d’un très bon œil l’émergence du sport pratiqué par les femmes sur nos écrans. Il considère d’ailleurs la visibilité comme le nerf de la guerre.

«C’est simple, plus on voit de sport féminin, plus on entend parler du sport pratiqué par les femmes, plus les jeunes filles veulent jouer et on crée des adeptes. Plus on a d’adeptes, plus les médias vont en parler et plus les athlètes vont faire d’argent», mentionne M. Arcand.

En janvier, le magazine Forbes dévoilait la liste des 50 athlètes les mieux payés en 2021. Naomi Osaka, en tête de file chez les femmes, figurait au douzième rang avec des gains totaux de 60 M$.

À titre comparatif, les 10 athlètes féminines les mieux payées au monde gagnent ensemble 167 M$, soit 13 M$ de moins que le combattant d’arts martiaux mixtes Conor McGregor, qui trône au sommet avec ses 180 M$. La fortune de McGregor, comme celle des autres vedettes sportives, découle majoritairement des revenus extrasportifs.

Des 60 millions de dollars en revenus de Naomi Osaka, 55 millions proviennent des gains publicitaires et de ses commanditaires.

Revenus de Naomi Osaka en 2021

Source : Forbes 2021  

C’est là qu’on voit que la visibilité se traduit en dollars. Et c’est justement en matière de visibilité que les athlètes féminines tirent de la patte.

Une étude de 2014 de l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique (maintenant Femmes et sport au Canada) démontrait que moins de 5% de la couverture sportive au pays portait sur le sport pratiqué par les femmes.

Disparité, quand tu nous tiens.

«Montrez nos matchs!»

Olivier Paradis-Lemieux, descripteur des matchs de la WNBA et journaliste à Radio-Canada, est heureux de voir un changement de discours sur la place publique.  

«Maintenant, la ligne qui semble être adoptée par les athlètes féminines, c’est: montrez nos matchs. Arrêtez de parler de sport féminin de manière générale, de souhaiter qu’on en parle davantage… Montrez nos matchs!», explique-t-il.

«L’occasion de voir ces matchs-là, c’est l’occasion de réaliser à quel point c’est du sport de haut niveau et aussi de s’attacher aux joueuses. Si on ne présente pas ces matchs, comment fait-on pour essayer d’être fan de sport féminin? La fibre émotive est très importante», poursuit le descripteur.

«Il faut arrêter les comparaisons boiteuses du genre: c’est moins vite, c’est moins bon, c’est moins si, c’est moins ça. Le sport, c’est du sport», ajoute Sébastien Arcand.  

Rose-Anne Joly, analyste des matchs de la WNBA, observe depuis quelque temps un réel engouement pour le sport professionnel féminin. 

«Tout ce qui est télédiffusion et webdiffusion, ça ajoute au mouvement d’engouement, ça se traduit directement sur les réseaux sociaux. Les gens en redemandent», mentionne celle qui est également entraîneuse-chef de l’équipe féminine de basketball de l’Université d’Ottawa, les Gee-Gees.

Nous ne sommes plus prêtes à accepter l’inégalité. Ça aussi, ça fait partie du combat.

Rose-Anne Joly, analyste des matchs de la WNBA

Son collègue partage le même avis.

«Tous les acteurs du sport ont droit d’être impatients. On a droit d’être pressés, parce qu’on veut en voir davantage, du sport féminin!», ajoute Olivier Paradis-Lemieux.

Un engouement indéniable

En 2021, les Jeux olympiques de Tokyo ont capté l’attention de 5,9 millions de Québécois sur ICI Télé. De toutes les compétitions, c’est la finale du 200 mètres style libre, avec Penny Oleksiak, qui a récolté le plus de visionnements avec une moyenne de 989 000. La finale de l’équipe féminine canadienne de soccer a rejoint 776 000 spectateurs le matin du vendredi 6 août.

En avril dernier, 91 648 personnes se sont entassées au Camp Nou, à Barcelone, pour assister au match aller de la demi-finale de la Ligue des champions féminine entre Barcelone et Wolfsbourg. La finale féminine de basketball universitaire américain du March Madnessa fracassé des records cette année, attirant 4,85 millions de téléspectateurs sur la chaîne ESPN.

Alors que le sport féminin est en pleine croissance, les coûts pour acquérir les droits de diffusion, eux, demeurent relativement bas. Une occasion à saisir pour des chaînes sportives spécialisées.

«En général, les médias vont aller vers où il y a une demande. Ils sont dans des logiques marchandes: le jeu de l’offre et de la demande. Mais on est un peu prisonniers de ça. Ça prend du courage de la part des grands publicitaires et des grands réseaux pour changer ça», croit Sébastien Arcand.

Le professeur estime aussi que les grandes ligues masculines devraient en faire plus.

«Je ne dirais pas de parrainer d’un point de vue patriarcal, mais plutôt d’appuyer des ligues féminines. Les faire bénéficier de leurs propres visibilité et exposure», poursuit M. Arcand.

«On revient au cercle vertueux. Si on voit plus de sport pratiqué par les femmes, on augmente la visibilité, on augmente leurs revenus et on augmente l’intérêt pour le sport. On permet aussi aux jeunes filles d’avoir des idoles à leur image», conclut le professeur.

Les propriétaires du bar The Sports Bra, à Portland en Oregon, ont bien compris l’enjeu.  

Ouvert depuis le début du mois d’avril, ce bar diffuse exclusivement des événements sportifs féminins, notamment les matchs de la WNBA et de la National Women’s Soccer League (NWSL). Un mandat simple et facilement transposable ici à Montréal.

Il suffit de montrer leurs matchs. Tout simplement.


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