Manon Asselin, une femme d’exception
Si on me demandait de faire un palmarès des architectes les plus influents actuellement au Québec, voire au Canada, un des premiers noms qui me viendraient en tête est certainement celui de Manon Asselin.
Mais ne perdez pas votre temps à chercher sur le Web de grands portraits biographiques de cette architecte: vous ne trouverez pas grand-chose, sinon quelques photos de ses plus récentes réalisations. Même le site web de sa firme, Atelier TAG, s’avère d’une banalité absolue: on n’y retrouve que ses coordonnées.
La raison est bien simple: Manon Asselin ne court pas après la publicité, même si ce ne sont pas les occasions qui ont manqué ces derniers temps pour faire parler d’elle.
En une dizaine d’années à peine, Atelier TAG a remporté pas moins de six concours d’architecture majeurs à l’échelle provinciale. On n’a qu’à penser au futur Pavillon 5 du Musée des beaux-arts de Montréal, qui risque fort bien d’être un des legs les plus marquants du 375e anniversaire de la métropole; ou encore, à la nouvelle salle de spectacle de Saint-Jérôme, dans les Laurentides, dont les premières images ont été dévoilées hier soir. Ces dernières laissent présager une superbe toiture en porte-à-faux, qui marquera l’imaginaire en valorisant une fierté régionale, le bois du Québec.
Sans oublier le fait que l’architecte [et enseignante à l’Université de Montréal] est l’une des rares femmes à avoir réussi à percer aussi brillamment le plafond de verre qui subsiste toujours en architecture, un domaine largement dominé par la gent masculine. «Les femmes sont de plus en plus présentes sur les bancs d’école, me confiait-elle récemment sur la terrasse de son bureau camouflé dans le Ghetto McGill. Mais c’est vrai que très peu de firmes sont dirigées, encore aujourd’hui, par des femmes. Et quand c’est le cas, c’est souvent avec un homme. Est-ce pour des raisons familiales? J’ai de la difficulté à l’expliquer.»
Manon Asselin ne s’en cache pas: se bâtir une crédibilité en tant que femme dans ce milieu professionnel a nécessité – et nécessite toujours – beaucoup de persévérance et d’autorité. «Dans mes débuts, quand j’allais sur mes chantiers, on m’a souvent demandé si j’étais la designer d’intérieur, m’a-t-elle expliqué avec un petit sourire en coin. On n’assumait pas, sur le coup, que j’étais l’architecte du projet. […] Et encore aujourd’hui, je suis souvent la seule femme autour de la table, entremêlée d’ingénieurs et d’entrepreneurs. Quand on débute avec un nouveau client, la tendance naturelle est de parler à l’homme à côté de moi, jusqu’à ce que j’ouvre la bouche et qu’on constate que je sais de quoi je parle.»
Quand je lui demande si elle espère que son succès pourra encourager davantage de femmes à se retrouver sous les projecteurs, elle éclate de rire. «J’espère surtout influencer l’art de construire. L’architecture doit être avant tout une expérience physique et émotionnelle, pas simplement une expérience intellectuelle [sur papier]. C’est surtout ça que je souhaite léguer à mes étudiants.»