Les refuges pour femmes violentées manquent de moyens
Partout au Québec, des maisons anonymes accueillent des femmes en détresse, battues physiquement, agressées sexuellement ou victimes de violence psychologique par leur conjoint. Ces établissements, dont l’emplacement demeure confidentiel, peinent à remplir leur mission, faute de financement public adéquat. Métro a visité une de ces maisons à Montréal qui aident des femmes et leurs enfants à se reconstruire.
«Il y a des femmes qui ne savent même pas qu’elles sont en situation de violence conjugale», rapporte Marylène Paquette, coordonnatrice à Inter-Val 1175, un des 25 centres d’hébergement pour femmes de Montréal, qui accueille de 45 à 50 familles par année.
Dans ce refuge, les intervenantes sociales effectuent d’abord un travail de sensibilisation auprès des femmes qui peuvent parfois vivre sous les coups de leur conjoint pendant des années sans réaliser qu’elles sont en situation de violence conjugale.
La coordonnatrice raconte l’histoire de cette femme et de ses trois enfants qui logent dans la maison actuellement. En couple depuis qu’elle est adolescente, elle subissait déjà la violence de ses parents quand elle était jeune. «Elle n’a jamais connu de relations saines», explique Mme Paquette. En conséquence, lorsque son mari la frappait, pour elle, c’était quelque chose de normal.
Finalement, grâce à sa travailleuse sociale, cette femme s’est rendue compte qu’elle vivait de la violence conjugale, et que cette situation avait une répercussion sur ses enfants. Ayant connu cette situation dans sa jeunesse, elle refusait de faire vivre ce même calvaire à ses enfants et elle a décidé de prendre contact avec l’organisme Inter-Val pour recevoir de l’aide.
Les femmes qui arrivent dans la maison ont trois mois pour se reconstruire, pour penser à l’avenir et soigner les blessures du passé. Grâce à des activités organisées par les intervenantes sociales, à la vie collective avec les autres femmes et à la sécurité qu’apporte cette maison, beaucoup finissent par s’en sortir, relève Marylène Paquette. La coordonnatrice affirme que la grande majorité des femmes qui sortent de la maison trouvent un nouveau logement et réussissent à démarrer une nouvelle vie, loin de leurs agresseurs.
«La violence conjugale, c’est un conjoint qui prend du pouvoir et du contrôle sur sa femme par n’importe quelle façon. C’est lui le maître du jeu» – Marylène Paquette, coordonnatrice à Inter-Val 1175.
Si les centres d’hébergement pour femmes violentées ont prouvé leur efficacité, ceux-ci débordent au Québec. À Inter-Val 1175, on refuse tous les jours une nouvelle famille, et le nombre de femmes hébergées dépasse les capacités d’accueil du centre. Les besoins sont énormes, dénonce la coordonnatrice, qui aimerait recruter de nouvelles intervenantes, remplacer son matériel de sensibilisation, proposer plus de lits et rénover le bâtiment.
Les 36 maisons de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF) ont refusé au total 9000 demandes d’hébergement au cours de l’année 2017, faute de place immédiate, rapporte sa directrice, Manon Monastesse. Il existe 109 maisons d’hébergement au Québec regroupé dans différents organismes.
La FMHF juge les derniers investissements du gouvernement trop faibles et attend de pied ferme le prochain plan d’action contre la violence conjugale qui sera dévoilé dans les prochains mois par le gouvernement.
Les maisons d’hébergement du Québec devraient recevoir annuellement environ 17M$ au cours des cinq ans, selon le dernier budget. Le prochain plan d’action permettra de déterminer comment cet argent sera dépensé, mais son accueil risque d’être mitigé chez les organismes.
«Pour les maisons d’hébergement, on demande un rehaussement récurent de 50M$ annuellement», plaide la directrice de la FMHF, Manon Monastesse, sceptique devant les investissements prévus par le budget. Pour elle, sans un réinvestissement majeur, encore plus de femmes et d’enfants victimes de violence conjugale seront laissés pour compte.
«Ça veut dire qu’il y a encore des femmes et des enfants qui vont vivre toutes sortes de violences et qui ne vont pas le divulguer, ni exercer leur droit à la sécurité, à être soutenu et entendu, alors pour nous c’est extrêmement grave», lance Mme Monastesse, alarmée par la situation.
Actuellement, le Canada est scruté par les Nations unies (ONU) pour «évaluer l’étendue du problème dans le pays et les mesures prises par les autorités pour y faire face». La rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes, Dubravka Šimonović, effectue une tournée au Canada et remettra un rapport lundi prochain. Elle a rencontré la Coalition féministe contre la violence envers les femmes, un regroupement d’une quinzaine d’organismes parmi les plus importants au Québec qui luttent pour la protection des femmes. Tous ces organismes ont dénoncé vigoureusement le manque de financement des ressources et l’absence de mesure pour soutenir les femmes les plus vulnérables, comme les femmes autochtones, immigrantes ou celles en situation de handicap.
Près de 30% des victimes de violence conjugale ont porté plainte en 2015, selon Statistique Canada. Au total, 19 406 infractions liées à la violence conjugale ont été enregistrées au Québec. Ce chiffre pourrait donc être trois fois plus élevé.