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Le virage sécuritaire à l’Accueil Bonneau inquiète les itinérants

Accueil Bonneau itinérant
Joe «Tex» a sombré dans l’itinérance en février dernier, peu de temps avant la pandémie. Photo: Zacharie Goudreault

La décision de l’Accueil Bonneau de mettre à pied des intervenants spécialisés tout en embauchant de nouveaux agents de sécurité soulève maintes inquiétudes, tant auprès des personnes en situation d’itinérance qui bénéficient des services de cet organisme que de la part du syndicat qui représente ces employés mis à pied. Doit-on craindre une dérive sécuritaire dans le traitement des itinérants?

Mercredi dernier, 11 intervenants spécialisés en itinérance apprennent qu’ils sont mis à pied. Parmi ceux-ci, on compte six employés permanents qui œuvraient au centre de jour de l’Accueil Bonneau et cinq autres qui occupaient un poste temporaire à la halte-chaleur située sur le Grand Quai, dans le Vieux-Port de Montréal.

En parallèle, l’Accueil Bonneau a fait appel dans les derniers jours à de nouveaux agents de sécurité de la firme Garda World, notamment pour travailler à la halte-chaleur du Vieux-Port, qui a ouvert ses portes en novembre.

Ils étaient d’ailleurs plusieurs à circuler régulièrement autour du bâtiment et à surveiller l’entrée de celui-ci lors du passage de Métro, vendredi. Ces agents de sécurité s’occupent notamment de faire respecter les règles sanitaires sur le site.

Une grande perte pour les itinérants

Chaque matin, de nombreux sans-abri montent dans une navette qui les dirige vers cette halte-chaleur, d’une capacité de 300 personnes, où ils peuvent notamment se reposer et manger un morceau.

Plusieurs itinérants avaient aussi pris l’habitude de s’y rendre pour se confier aux quelques intervenants qui étaient toujours prêts à les écouter et à les soutenir. C’est donc avec consternation que plusieurs itinérants rencontrés par Métro ont constaté le départ de ces employés dans les derniers jours.

«Ce sont des hommes et des femmes qui passaient leurs journées à écouter les gens. Ils faisaient juste les écouter […] Il y a beaucoup de personnes qui ont besoin de ça, ici», évoque Joe «Tex», qui a sombré dans l’itinérance en février dernier, peu de temps avant la pandémie, qui n’a fait qu’aggraver sa situation financière.

Depuis plusieurs semaines, il séjourne dans le refuge d’urgence mis en place dans l’Hôtel Place Dupuis, au centre-ville de Montréal, et se rend régulièrement à la halte-chaleur du Vieux-Port.

Santé mentale

Alors que plusieurs itinérants souffrent de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, la présence d’intervenants dans la plus grande halte-chaleur de la métropole est primordiale, selon lui. Les employés mis à pied savaient «calmer» les personnes en crise, contrairement aux agents de sécurité, constate le sans-abri.

«Il y en a qui se prennent pour des policiers, avec leur marche, leur regard et leur ton de voix. Ça ne nous rassure pas. Les intervenants, ils savent comment nous parler. Ils sont gentils, ils nous sourient. Souvent, il y a des gens qui s’énervent pour rien, mais les intervenants, ils savent comment leur parler», souligne également Achraf, qui vit dans la rue depuis 18 ans.

Dans les derniers jours, il affirme avoir constaté un changement drastique dans «l’atmosphère» à la halte-chaleur du Vieux-Port. Elle serait beaucoup plus tendue maintenant.

«Un agent de sécurité, il va provoquer plus, et c’est là que la chicane pogne», soulève l’homme d’origine arabe. Ce dernier craint aussi que des itinérants subissent du «profilage» de la part d’agents de sécurité présents sur le site, comme c’est le cas avec la police de Montréal.

«La plupart des gens ici, ils ont des problèmes de santé mentale, donc on a besoin parfois de parler à des intervenants. Ils connaissent notre vie et notre parcours. C’est à eux qu’on veut parler, pas à des agents de sécurité.» -Achraf, un itinérant montréalais

Le syndicat consterné

Le syndicat local qui représente les intervenants mis à pied affirme avoir été informé des coupures le même jour que celles-ci ont eu lieu, soit mercredi, ce qui va «à l’encontre de la convention collective». Les raisons fournies par l’employeur pour justifier ces mises à pied seraient d’ailleurs nébuleuses.

«C’est assez flou. Les intervenants, non seulement ils ne savent pas [pourquoi ils sont mis à pied], mais ils sont inquiets pour la suite à savoir comment les services vont s’organiser. Un gardien Garda pour servir les sans-abri, ce n’est pas comme un intervenant terrain», évoque le président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, Jeff Begley, en entrevue à Métro vendredi.

Il dit d’ailleurs comprendre le désarroi des itinérants qui ont perdu du jour au lendemain contact avec des intervenants de l’Accueil Bonneau.

«Les itinérants n’ont pas un réseau énorme. Donc, quand ils développent une relation de confiance avec des intervenants et qu’ils ne sont plus là, c’est une grande perte pour eux», souligne M. Begley, qui a d’ailleurs lui-même été un «travailleur de rue» dans le passé.

«Il n’y a aucune considération, ni pour les employés ni pour les personnes [en situation d’itinérance]. C’est incompréhensible», renchérit le leader syndical. M. Begley a d’ailleurs indiqué à Métro que le syndicat tentera de faire «annuler» ces mises à pied au cours des prochains jours.

L’Accueil Bonneau défend sa décision

Avant ces mises à pied, l’Accueil Bonneau comptait une quarantaine d’intervenants de première ligne sur une soixantaine d’employés occupant divers postes, selon des informations fournies à Métro par le syndicat local qui les représente.

«Nous n’avons pas aboli tous les postes d’intervenants au Grand Quai. Des intervenants de milieu et projets artistiques sont toujours en poste sur place», a toutefois assuré jeudi le directeur exécutif de l’Accueil Bonneau, Claude Vigneault, en entrevue à Métro. Selon lui, les principaux services offerts par l’organisme ne nécessitent pas un travail d’intervention.

L’Accueil Bonneau affirme par ailleurs que certains des intervenants récemment congédiés auront l’occasion d’être réaffectés à d’autres services, s’ils le souhaitent.

«Évidemment, ce genre de décision importante comporte son lot de défis et de changements qui sont parfois difficiles sur le plan humain et nous demeurons à l’écoute de nos employés au cours de cette période», a indiqué l’organisme, sur les réseaux sociaux.

La crainte d’une «dérive»

Au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), on craint que le virage pris par l’Accueil Bonneau, en faveur de plus d’agents de sécurité, ne soit pas un cas isolé.

«Il y a une grande dérive actuellement dans la manière dont on traite les personnes en situation d’itinérance […] L’approche de l’Accueil Bonneau s’approche du modèle carcéral et s’éloigne des principes de dignité dont on s’est doté dans la politique nationale de lutte à l’itinérance», déplore la directrice du RAPSIM, Annie Savage.

Métro a tenté à maintes reprises, vendredi, de faire réagir la direction de l’Accueil Bonneau aux inquiétudes et critiques qu’ont soulevé ces mises à pied, en vain.

Le cabinet de la mairesse d Montréal, Valérie Plante, rappelle pour sa part que les besoins en matière d’intervenants sociaux «sont criants».

«Nous espérons donc que ces travailleuses et travailleurs [mis à pied] seront rapidement réaffectés à d’autres fonctions en soutien aux personnes vulnérables», soulève son attachée de presse, Laurence Houde-Roy.

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