Comment résoudre la crise du logement?
Par Nick Revington, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
Le Québec est au cœur d’une crise de logement. Bien que cela coûte cher d’acheter une maison, ce sont les locataires qui en éprouvent les effets le plus durement. Ces derniers sont 2,6 fois plus susceptibles, en comparaison des propriétaires, de dépasser le seuil de 30 % de revenu consacré aux frais de logement. De plus, ils ont plus de difficulté à trouver un logement abordable, de condition adéquate, dans le contexte d’un marché en surchauffe.
Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), les loyers ont augmenté de 4,2 % dans la région métropolitaine de Montréal en 2020, et de 3,7 % dans l’ensemble du Québec. En comparaison, l’indice des prix à la consommation, calculée par Statistique Canada, n’a augmenté que 0,7 %. En plus de la forte croissance des loyers, plusieurs locataires sont victimes de « rénovictions » – donc d’éviction par le propriétaire pour rénovations – ou de reprise de logement.
Ce déplacement involontaire du locataire est associé à plusieurs effets négatifs sur la santé et le bien-être. À ceux-ci s’ajoutent l’angoisse de perdre son chez-soi et de devoir trouver un nouveau logement, souvent plus cher que celui qu’il doit quitter. Dans un cas documenté, une éviction a poussé un homme au suicide, ce printemps.
Comme professeur-chercheur en études urbaines spécialisé en logement et dynamiques urbaines, je vois plusieurs avenues pour s’attaquer à ces enjeux.
Échappatoires dans la protection des locataires
Malgré leurs effets négatifs, les rénovictions et les reprises de logement sont légales selon l’application de certaines conditions. Un propriétaire peut évincer ses locataires d’un logement afin d’agrandir, de subdiviser ou encore d’en changer l’affectation. Il est aussi permis d’offrir une compensation financière à un locataire pour évacuer temporairement un logement en cas de travaux majeurs. Quant aux reprises, il faut que le logement soit utilisé pour loger le propriétaire, ses enfants, ou ses parents.
Cependant, ces règles ne sont pas toujours suivies. Par exemple, le Comité logement de la Petite Patrie, à Montréal, estime que 85 % des évictions et reprises dans ce quartier sont frauduleuses ou malveillantes. Dans ces cas, les projets proposés par le propriétaire ne sont jamais réalisés tels que présentés et les logements sont reloués plus cher ou revendus. Ou encore, les locataires sont victimes de harcèlement jusqu’à ce qu’ils quittent le logement.
En principe, ce type de projet doit être approuvé par le Tribunal administratif du logement (anciennement la Régie du logement). En pratique, personne n’en vérifie la réalisation à postériori et il incombe à l’ancien locataire de porter plainte. Si ce dernier obtient gain de cause dans son dossier, il pourrait être dédommagé. Mais souvent, le locataire manque de temps, de ressources ou de savoir-faire pour effectuer les démarches administratives et faire valoir ses droits. De plus, les pénalités aux propriétaires ne sont pas suffisamment sévères pour décourager l’abus du système.
Combler les lacunes des règles
En cas de reprise de logement, une application proactive par le Tribunal, confirmant que l’unité est bel et bien occupée par le propriétaire ou sa famille, enlèverait le fardeau aux locataires. La menace de l’exécution des règles et des amendes plus élevées découragerait les fausses reprises.
Un règlement municipal de la ville de New Westminster, dans la région de Vancouver, en Colombie-Britannique, présente une solution possible aux enjeux entourant les rénovictions. Dans cette ville, pour toutes rénovations qui nécessitent l’évacuation d’un locataire, le propriétaire doit d’abord fournir une habitation alternative pendant la durée des travaux, puis garantir par offre écrite le droit de retour dans le logement sans augmentation du loyer. Un propriétaire contrevenant risque de perdre sa licence commerciale. Les rénovictions sont passés de 333 de 2016 à 2018 à zéro depuis 2019.
Pourtant, les rénovictions et les expulsions illégitimes sont des symptômes d’un marché en surchauffe. C’est encore une importante occasion d’affaires pour les propriétaires, puisqu’il est rentable d’évincer le locataire actuel et de demander un loyer beaucoup plus élevé au suivant. S’il s’agit de rénovations, l’augmentation du loyer justifie les coûts. Partout au Canada, l’éviction des locataires est une stratégie immobilière courante.
La transformation des logements en copropriété a contribué également à la diminution du parc locatif. Bien que la conversion en copropriété divise (condo) soit interdite, à Montréal, les conversions en copropriété indivise (ou chaque propriétaire possède une partie de la totalité de l’immeuble) ne sont pas assujetties aux mêmes restrictions. Selon la SCHL, environ 1 % des logements locatifs dans la ville ont été convertis en copropriété indivise entre 2011 et 2019, dont la plupart étaient dans des quartiers centraux.
Assurer des logements abordables
Actuellement, il y a une forte tendance parmi les urbanistes des pays anglo-saxons de plaider pour une libéralisation du zonage comme solution à la crise d’abordabilité. Selon cette perspective, permettre des unités d’habitation accessoires (des résidences supplémentaires sur des lots déjà occupés) et le développement à haute densité, ainsi que l’élimination ou la réduction des exigences de stationnement dans les nouvelles constructions, entre autres, augmentera l’offre de logements. Le résultat serait une baisse des loyers (et des prix des maisons).
Ce sont toutes de bonnes choses, mais au bout de compte, elles ne sont pas suffisantes. Ce que l’on constate, c’est que le marché privé n’a jamais été capable de fournir des logements à la fois abordables et en bon état pour des ménages à faible revenu.
Il faudra alors rattraper le terrain perdu en logement social, depuis les compressions presque totales du gouvernement fédéral dans les années 1990. Certes, le récent budget fédéral promet du financement pour la construction, la réparation et l’entretien de 35 000 logements abordables. Mais seulement une fraction de ce nombre correspond à la construction de nouveaux logements sociaux, bien qu’il y ait plus de 23 000 ménages sur la liste d’attente pour un logement subventionné, à Montréal, sans même compter les autres régions du pays.
Pour sa part, le gouvernement du Québec n’a annoncé que 500 nouveaux logements, à la grande déception des municipalités québécoises.
À l’avenir, il faudrait également prévoir un système de contrôle des loyers plus robuste, surtout au départ d’un locataire et à l’arrivée d’un autre. Ce contrôle ciblerait surtout les évictions ayant pour objectif de hausser dramatiquement le loyer. Ces mesures assureraient également des augmentations plus modestes, selon le taux de rotation normale des locataires. Une limite bien conçue permettra la récupération des coûts d’entretien plus élevés en préservant des logements locatifs abordables.
Ce ne sont que quelques propositions vers une résolution de la crise du logement locatif. En combinaison avec des mesures sur l’accès à la propriété, il sera possible de fournir un domicile adéquat et abordable pour tous.
Nick Revington, professeur de logement et dynamiques urbaines, Institut national de la recherche scientifique (INRS)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.