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Le hoquet

Photo: Pierre Brassard | www.pierrrebrassard.com

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Ligne 55 direction sud, arrêt Saint-Urbain, angle Laurier. Jeudi, il est 13 h 20.

Elle est toute menue, porte un béret et tient son sac à main bien serré contre elle. Elle a la soixantaine avancée et mesure à peine 5 pi 3 po.

Son petit corps est secoué par un hoquet géant et persistant qui ne lui laisse aucun répit. Nous sommes quelques-uns à l’arrêt à observer celle qui, par excès de politesse, s’excuse après chaque hic.

Le bus arrive et nous laisse monter à bord. La petite dame d’abord. La pauvre, qui est toujours secouée par une série de hic-hic-hic-pardon-pardon-pardon, finit par s’asseoir, laissant pendre ses pieds qui ne touchent pas au sol.

La dame est traversée par un autre tremblement du corps involontaire. Nous sommes plusieurs à l’observer et à sourire discrètement devant l’embarras qu’elle semble ressentir. C’est vrai que le hoquet, tout comme le fait de perdre pied et de se planter sur le trottoir devant une terrasse remplie à craquer, a quelque chose d’humiliant. C’est une perte de contrôle momentanée et totale de l’esprit sur le corps. Une brève absence de dignité qui a, pour ceux qui en témoignent, une dimension franchement comique. Parce que c’est sans conséquence et, aussi, surtout, parce que, démocratiquement, personne n’est à l’abri de perdre un peu la face, à tout moment.

C’est ainsi que la vie peut nous rappeler à l’ordre, au détour, lorsque la vanité, l’orgueil ou la prétention vient nous tenter. Elle ramène l’humain directement au pays de l’humilité. Que ce soit par l’intermédiaire d’une plaque de glace sur laquelle glisse un fier adolescent, d’une grosse poussière logée dans l’œil d’un chic homme d’affaires et que ce désagrément fait grimacer, ou encore par ce hoquet viril qui s’est glissé dans la peau de la dame délicate aux manières irréprochables.

Nous aurions peut-être pu mettre un terme à son état en lui faisant, collectivement, faire un saut. Mais ce projet nous est passé rapidement. Peut-être par crainte que son frêle cœur ne résiste pas à un tel choc ou, simplement, pour lui permettre d’être encore un peu imparfaite, hors de contrôle et, par le fait même, un peu plus libre.

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