La Ronde endettée, plus chère et moins attrayante
Le célèbre parc d’attractions de l’île Sainte-Hélène a-t-il besoin d’un «lifting»? Avec les prix à la hausse, la dette de l’entreprise et la réduction des heures d’ouverture, plusieurs clients se demandent bien si un billet pour La Ronde est devenu trop cher pour le service rendu.
Le parc d’attractions a enfin pu ouvrir à pleine capacité cette année avec l’allègement des restrictions sanitaires. Une pandémie plus tard, son propriétaire Six Flags fait face à de gros défis économiques, dus notamment à sa dette colossale de 2,64 G$.
Pour y répondre, l’entreprise a choisi d’augmenter ses prix d’entrée tout en réduisant ses coûts. Elle vise une montée en gamme et espère une hausse des dépenses des visiteurs dans ses parcs, quitte à voir la fréquentation diminuer.
Des changements de l’offre qui en ont pourtant déçu plus d’un. Certains estiment en effet que La Ronde est rendue trop chère pour ce qu’elle est. Fermeture le lundi, horaires réduits, hausse des prix de la restauration, tout cela associé à une augmentation du coût des abonnements et des billets d’entrée: tant de facteurs qui ont généré de la frustration chez beaucoup de visiteurs.
C’est le cas de Robert Roy, 39 ans, habitué de La Ronde depuis son enfance. Sa conjointe et lui ont recommencé à fréquenter le parc en 2017, accompagnés de leur enfant de sept ans.
«Nous y allons pratiquement à chaque semaine et parfois plus. Avec les passeports qu’il y avait, c’était vraiment rentable pour une sortie en famille. J‘ai jamais eu de problème à débourser, même si c’est onéreux, par contre, je m’attends à avoir une offre digne du montant que je paie… Présentement, avec La Ronde, on [en] est à des années-lumière», estime-t-il.
Divers commentaires laissés sur les réseaux sociaux et sur Google montrent aussi l’insatisfaction de certains usagers.
«Des restos fermés, des heures d’ouverture réduites. Bref, rien qui justifie les nouvelles tarifications pour les passes à plus de 150 $ par saison. Sans [compter] un 17 $ pour une poutine», commentait un internaute après son passage à La Ronde il y a trois semaines.
Une stratégie assumée de Six Flags
Le propriétaire de La Ronde présentait les résultats du premier trimestre de 2022 le 12 mai dernier. Durant cette conférence, le PDG Selim A. Bassoul assumait le virage pris récemment par son entreprise, qui envisage désormais les activités de ses parcs d’attractions d’une nouvelle façon.
«Nous avons consciencieusement pris la décision d’échanger la fréquentation contre le rendement», a-t-il expliqué. Et de poursuivre: «Augmenter les prix n’est pas une tâche facile pour une entreprise qui a appris à ses clients, pendant des décennies, à s’attendre à de gros rabais. Et nous avons déjà constaté une certaine réticence de la part des clients à payer nos prix plus élevés.»
Comprenez que la nouvelle stratégie économique de Six Flags est de pousser les clients à dépenser plus, quitte à sacrifier la fréquentation de ses parcs. Un repositionnement qui doit passer par exemple par le développement technologique des parcs ou la refonte de l’offre de restauration.
Robert Roy, lui, y voit plutôt «une majoration astronomique des coûts [doublée d’]une diminution des offres et services».
Si l’entrée unique à La Ronde a connu une légère baisse, le prix des passeports a largement augmenté. Par le passé, les abonnements comprenaient le stationnement, ce qui n’est plus le cas, à moins d’opter pour un passeport à 165 $. Les prix élevés de la restauration, qui peuvent atteindre près de 30 $ pour un trio, combinés à l’interdiction d’apporter son repas ou une bouteille d’eau dans l’enceinte du parc génèrent, eux aussi, leur lot de frustration chez de nombreux visiteurs.
Peu d’investissements
Comme toute autre entreprise, La Ronde et son propriétaire, Six Flags, ont fait les frais de la pandémie de COVID-19. Avant celle-ci, le parc avait ouvert trois nouveaux manèges: le Titan en 2017, le Tourbillon en 2018 et le Chaos en 2019. L’équipe du parc confirmait au début de l’année à Narcity que la construction du manège annoncé en 2020, le Vipère, avait été annulée, en raison de l’état des finances de l’entreprise.
«En raison du contexte actuel qui affecte plusieurs entreprises, nous réévaluons tous nos projets à long terme», déclarait-elle.
Peinture écaillée, rouille sur les manèges, planches de bois brisées: l’état du parc traduit également un manque d’entretien. Et ce, malgré la fermeture de plusieurs attractions, comme le Minirail, la Spirale ou le Galopant.
À propos de la fermeture le lundi et des horaires réduits, Philippe Bouchard, maître d’enseignement au département de finance de HEC Montréal, «pense que la pénurie de personnel est assurément un facteur. C’est faire le pari que la fermeture d’une journée permette de réduire les coûts d’un septième et de répartir les clients sur les autres jours sans augmenter le coût de la main-d’oeuvre».
Un endettement qui limite l’entreprise
Philippe Bouchard considère que la dette de l’entreprise limite très largement sa marge de manœuvre.
Six Flags le sait: cette dette de 2,64 G$ est un danger pour le développement de ses parcs. Dans son dernier rapport d’activités, l’entreprise américaine rappelait les défis que celle-ci posait.
«Nous pourrions être vulnérables en cas de ralentissement des conditions économiques générales ou de notre activité et nous pourrions être incapables de mener à bien des activités importantes pour notre croissance», soulignait-elle dans ce document.
Mais cet endettement expliquerait donc pourquoi La Ronde n’a pas vraiment fait peau neuve dernièrement. «Ça fait deux ou trois ans que Six Flags n’a pas reporté de capital sur leur dette. Ça va augmenter le fardeau financier à rembourser. On a une récession qui pointe à l’horizon avec de l’inflation et des taux d’intérêt en hausse. Ils sont donc très vulnérables» à ce ralentissement attendu de l’économie, note Philippe Bouchard.
Le cours de l’action de l’entreprise est passé de 42,60 $ le 19 avril dernier à 20,19 $ le 16 juin, seulement deux mois plus tard. Et ce, alors que les dates coïncidaient avec les réouvertures des parcs de Six Flags.
L’entreprise avait déjà fait faillite à la suite de la crise des subprimes, en 2009, avant sa relance en 2010. Sa dette était alors de 2,4 G$. Cela peut être le signe d’un modèle économique mal adapté aux chocs économiques, analyse Iain Butler, conseiller financier au sein de Motley Fool Canada.
«Pour ce que nous en savons, c’est le parc le plus rentable de tout le portefeuille. Le site de La Ronde est loué à la Ville de Montréal jusqu’en 2065, il ne semble donc pas y avoir d’intention de le fermer», tempère-t-il.
Et le nouveau modèle économique choisi par Six Flags, bien qu’il en ait déçu beaucoup, sera reconduit en 2023.