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Toutes ces petites choses

Photo: Pierre Brassard | www.pierrebrassard.com

Chaque mardi, la journaliste et animatrice Julie Laferrière et l’humoriste, animateur et illustrateur Pierre Brassard posent un regard original sur les usagers du transport en commun.

Boulevard René-Lévesque. Ligne 150, direction ouest. Mercredi. Il est 16 h 40.

Je suis assise entre une jeune femme et un homme d’un certain âge et suis ravie, car tous deux ont posé sur leurs genoux leur mallette et sac respectifs qui sont suffisamment entrouverts pour que je puisse apprécier certains éléments de leurs contenus. J’adore observer les baluchons des autres. J’essaie de le faire le plus subtilement possible, mais ma curiosité ne marche pas toujours sur la pointe des pieds.

C’est pourquoi, dans quelques minutes, l’homme et la demoiselle se racleront la gorge pour signifier qu’ils sont conscients de mon manège et baisseront brusquement le rideau sur leur petit monde, me privant ainsi du reste de leur univers.

Mais j’aurai quand même eu le temps de voir ceci: dans le fourre-tout gris à doublure rouge de la jeune fille se trouvent un paquet de gomme Juicy Fruit et une pochette de mouchoirs qui tire à sa fin. Et puis un roman d’Oscar Wilde, un Tupper­ware qui contient des bébés carottes et un étui à maquillage fait du même tissu rouge que l’intérieur de la besace. Ces quelques éléments pourraient laisser croire que la jeune dame préfère le goût du sucre à celui de la menthe en matière de chewing-gum, mais qu’elle soigne quand même son alimentation, qu’elle vient de terminer un rhume, qu’elle apprécie les classiques de la littérature et qu’elle est un peu coquette.

Du côté du monsieur, j’entrevois dans son attaché-case des dossiers sur lesquels des noms et des années ont été raturés au profit de nouvelles inscriptions, une écharpe noire enroulée soigneusement, un paquet de Marlboro et un téléphone cellulaire quelque peu obsolète. Selon ma lecture des plus subjective, cet homme est un comptable qui a essayé maintes fois d’arrêter de fumer. Il a décidé que l’hiver était derrière lui, mais, comme il est prudent, il apporte dans sa mallette de quoi se protéger d’une fraîcheur subite, ayant une propension à la toux… qui n’a bien sûr rien à voir avec la cigarette. Cet homme moderne et bien de son temps refuse de devenir l’esclave d’un téléphone intelligent.

Mes deux voisins se sont physiquement refermés sur leurs biens.

Je me lève et m’éloigne, un peu gênée d’avoir été démasquée par les sujets de mon indiscrétion. Mais je dois avouer que ce jeu m’amuse chaque fois autant parce que c’est un plaisir d’imaginer qui est l’autre à travers toutes ces petites choses qui ne nous définissent pas, mais qui participent quand même, un peu, à dire qui nous sommes.

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