Des prêts pour se sortir de la prostitution
Pour aider les femmes à se sortir de la prostitution, la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) offre l’un des seuls programmes de petits prêts, sans intérêt, pour le paiement de charges quotidiennes lors de situation d’urgence.
Amélie (nom fictif) est entrée dans le milieu de la prostitution dès l’âge de 14 ans. Pendant près de 6 ans, elle a gagné sa vie ainsi. Bien qu’elle reste vague sur les raisons qui l’ont menée à ce milieu, elle est catégorique, «ce n’est jamais un choix de devenir prostituée. C’est de la violence faite aux femmes», affirme-t-elle en entrevue avec Métro.
Lorsqu’elle a pris la décision de se sortir du milieu, le défi lui a semblé titanesque. «On a toujours été à zéro [en étant prostituée], et on doit tout refaire quand on en sort», témoigne-t-elle, dénonçant le manque de ressources pour lui venir en aide.
Alors qu’elle tentait de s’en sortir, elle a fait appel au Fonds de solidarité de la CLES pour l’aider dans le paiement d’un bien qui lui était difficile de s’offrir pendant son cheminement. Elle fait partie de la trentaine de femmes à en avoir bénéficié depuis le début de ce programme, il y a 2 ans.
«Au fil du temps, on voyait très bien que les femmes avaient besoin d’aide financière en urgence à laquelle elles n’avaient pas accès ailleurs, se rappelle Claudia Bouchard, intervenante à la CLES pour expliquer les débuts de ce programme. Sans soutient, certaines femmes pourraient avoir recours à des prêteurs sur gage ou autre, ce qui ferait grossir le problème.»
Parmi celles qui en ont déjà bénéficié, certaines l’ont fait pour payer par exemple des frais dentaires d’urgence, leur appartement avant de se faire évincer, une épicerie ou des frais juridiques. Aucune date n’est imposée pour le remboursement de ce prêt sans intérêt.
Si ce fonds devient une alternative intéressante en situation d’urgence pour les femmes qui tentent de se sortir de la prostitution, c’est que certains éléments de leur réalité rendent la recherche d’emploi ou le retour aux études ardues, explique Mme Bouchard, comme la violence conjugale, de l’inceste, des problèmes de consommation.
«C’est hallucinant tout ce qu’elles doivent gérer avant de penser à retourner sur le marché du travail ou aux études» – Claudia Bouchard, intervenante à la CLES
Amélie reconnait qu’elle a dû mettre une croix sur les grandes études dont elle rêvait en raison des séquelles physiques et psychologiques découlant de ses années de prostitution. De lourdes images de sa vie d’avant lui reviennent la nuit et l’empêchent de dormir, parfois. «Comment pourrais-je expliquer au professeur pourquoi je n’ai pas pu dormir avant de venir faire l’examen?», s’avoue-t-elle.
«Elles vivent avec la honte, la culpabilité [d’avoir vécu de la prostitution]. Ça teinte leur capacité à être en relation avec les autres et leur espoir à aspirer à mieux, ajoute Claudia Bouchard. Elles pensent souvent qu’elles ne seraient pas bonnes dans autre chose que ça.»
Pour toutes ces raisons, le temps peut être long avant que ces «survivantes», comme on les appelle à la CLES, pansent leurs blessures et se trouvent un emploi qui subvient à leurs besoins. Les prêts se veulent ainsi une aide pendant cette période où l’aide sociale est difficile d’accès pour certaines et les prêts et bourses gouvernementaux inaccessibles pour celles qui n’ont pas terminé leur secondaire.
«À partir du moment où la femme s’avoue à elle-même qu’elle n’est plus bien dans ce milieu, chaque relation dans l’industrie devient pénible, précise Mme Bouchard. On ne pourra jamais dire qu’on a assez de moyen pour faire en sorte qu’elle n’ait plus du tout à [se prostituer], ça prend du temps avant qu’elle puisse arrêter définitivement, mais on peut essayer d’alléger un tant soit peu sa réalité.»
Amélie ne cache pas également que certaines femmes qui tentent de quitter le milieu de la prostitution se font parfois offrir par d’anciens clients «de faire un 100$». «Donc, les prêts peuvent permettre à des femmes de se sortir un peu de cette dépendance économique. Les hommes savent que les femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution ont besoin d’argent et profitent de cette vulnérabilité», dénonce-t-elle, bien qu’elle soit d’avis que les dons seraient plus profitables qu’un prêt.
Et le taux de remboursement est notable, soutient Mme Bouchard. «Les femmes prennent ça au sérieux et remboursent petit à petit. Il y a un certain nombre de prêts pour lesquels on sait que ça va prendre du temps et c’est correct si ça ne revient pas. Mais de façon générale, elles ont envie que d’autres femmes en profitent également et ça les motive», se réjouit-elle.