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Les lois sur l'aide médicale à mourir contestées

Paul Chiasson / La Presse Canadienne Photo: Paul Chiasson
Pierre Saint-Arnaud, La Presse canadienne - La Presse Canadienne

MONTRÉAL — «Je voudrais mourir chez moi, (…) avec mes amis et avec un verre de champagne rosé dans une main et un canapé de foie gras dans l’autre.»

C’est sur ces paroles que Nicole Gladu a conclu, mercredi, son plaidoyer devant les médias au lendemain du dépôt devant la Cour supérieure d’une contestation de la constitutionnalité de certains articles des lois canadienne et québécoise sur l’aide médicale à mourir.

Mme Gladu, 71 ans, victime de la polio en enfance, a reçu un diagnostic de syndrome post-poliomyélite en 1992 et son état se détériore sans cesse depuis ce temps, au point où elle a du mal à se tenir dans son fauteuil roulant sans effort.

L’autre plaignant dans ce dossier, Jean Truchon, ne pourrait tenir ni verre de champagne ni canapé de foie gras; l’homme de 49 ans, atteint de paralysie cérébrale, a perdu l’usage de son bras gauche en 2012, dernier membre fonctionnel qu’il avait, et il lui a fallu une accompagnatrice pour lire sa déclaration, mais celle-ci n’en était pas moins touchante.

«Je souhaite avoir le droit à une mort douce et digne et non pas mourir en martyr», a-t-il dit après avoir raconté les terribles scénarios qu’il avait imaginés pour s’enlever la vie, dont une grève de la faim («mais je trouve que j’ai déjà assez souffert jusqu’à date») ou encore se jeter devant un véhicule ou le métro (écarté parce que «ça détruirait la vie d’autres personnes»).

Les deux Montréalais sont atteints de graves maladies dégénératives incurables, mais leur mort n’est pas imminente, un critère imposé tant par Québec qu’Ottawa pour avoir droit à l’aide médicale à mourir.

Recul des droits

Leur demande en jugement déclaratoire est pilotée par l’avocat spécialisé en droit médical Jean-Pierre Ménard, qui a la ferme intention de démontrer que les lois sont inconstitutionnelles parce qu’elles ne respectent pas l’arrêt Carter de la Cour suprême.

La loi québécoise réserve l’aide médicale à mourir aux seules personnes en fin de vie, alors que la loi fédérale parle d’une mort raisonnablement prévisible.

Or, avec l’arrêt Carter en février 2015, le plus haut tribunal avait émis les critères suivants pour qu’une personne soit admissible à l’aide médicale à mourir: que la personne soit apte à consentir, majeure, atteinte d’une maladie grave et incurable et qu’elle éprouve des souffrances que la médecine ne peut soulager. Cette décision s’appuyait sur les obligations imposées par la Charte des droits et libertés.

«Il n’y a pas de critère de fin de vie, il n’y a pas de critère de mort naturellement prévisible dans la décision de la Cour suprême», a martelé Me Ménard.

La loi québécoise, adoptée avant l’arrêt Carter, avait été aussi loin qu’elle le pouvait sans contrevenir au Code criminel en définissant l’aide médicale à mourir comme un «soin de fin de vie», évitant ainsi d’ouvrir à des accusations criminelles de suicide assisté.

Après la décision de la Cour suprême, Québec a attendu de voir comment le fédéral légiférerait et il a fallu plus d’un an pour qu’Ottawa accouche de la Loi C-14 qui, plutôt que régler le problème, a ajouté le critère de «mort raisonnablement prévisible», qui a soulevé de multiples critiques en raison de son caractère flou et difficile à définir, en plus de n’avoir jamais été évoqué par le plus haut tribunal.

«Des gens qui s’étaient fait donner le droit d’avoir accès à l’aide médicale à mourir par la décision de la Cour suprême se le voyaient retiré par la législation fédérale», a fait valoir Me Ménard, qui a dit trouver «déplorable» que des citoyens doivent maintenant s’adresser aux tribunaux pour faire reconnaître un droit pourtant clair.

«La mesure qui est prise l’est non pas pour étendre l’aide médicale à mourir ou pour l’assouplir; c’est une mesure pour rétablir, récupérer les droits perdus par des citoyens canadiens en raison de la nouvelle loi fédérale.»

Me Ménard a fait valoir que de nombreux juristes avaient averti le gouvernement Trudeau du caractère litigieux de ce critère de «mort raisonnablement prévisible» et lui avaient suggéré d’aller le faire valider par la Cour suprême, ce qu’il a refusé de faire. Par ailleurs, six ordres professionnels (le Barreau du Québec, la Chambre des Notaires, le Collège des médecins, l’Ordre des infirmières, l’Ordre des travailleurs sociaux et l’Ordre des pharmaciens) ont également demandé au ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, de renvoyer Loi C-14 devant Cour d’appel, ce qui n’a pas encore été fait.

«Il faut déplorer l’inaction et l’insensibilité des autorités politiques, des gouvernements, qui n’ont pas jugé bon de faire trancher ça par les tribunaux jusqu’à maintenant», a conclu Me Ménard.

Si Nicole Gladu et Jean Truchon sont les premiers à aller devant la Cour au Québec — une autre cause portant sur des questions différentes a été amorcée en Colombie-Britannique —, ils ne sont pas les premiers à souffrir de la situation: «J’ai eu d’autres clients en cours de route qui ont décidé de ne pas embarquer dans ce processus et qui ont préféré se laisser mourir de faim», a révélé l’avocat.

«La démarche que l’on fait, c’est pour que ces gens-là puissent avoir accès à l’aide médicale à mourir au moment choisi par eux», a précisé le juriste, ajoutant qu’une victoire en première instance permettrait à ses clients d’avoir droit à l’aide médicale à mourir même si Ottawa allait en appel, une provision qui ne s’appliquerait qu’à ceux-ci, toutefois.

Barrette se réjouit

Les réactions n’ont pas tardé à fuser sur les deux collines parlementaires.

Le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette, a dit trouver «dommage» que des malades doivent s’adresser aux tribunaux, mais n’a pas caché que la démarche faisait son affaire, disant l’accueillir «favorablement».

«Je suis dans une certaine mesure content que quelqu’un pose la question aux tribunaux parce que ce sera malheureusement les tribunaux qui vont régler cette affaire-là», a indiqué le ministre en mêlée de presse.

Rappelant qu’il avait prédit une contestation juridique, le ministre a rappelé qu’il avait annoncé la création d’un comité d’experts pour se pencher sur la question, qu’il avait demandé à la Commission sur les soins de fin de vie un recensement des demandes d’aide médicale à mourir qui avaient été refusées et son intention de s’adresser lui-même aux tribunaux pour clarifier la notion de «mort raisonnablement prévisible».

La porte-parole péquiste Véronique Hivon a vivement réagi aux propos du ministre.

«C’est quand même incroyable que lui qui, comme ministre de la Santé, a été directement interpellé il y a plusieurs mois par des ordres professionnels, n’ait pas assumé ce leadership et là se réjouisse que ce soient des gens très malades qui soient pris à faire ces démarches-là, avec les coûts que ça représente, avec le stress que ça représente», a-t-elle affirmé en point de presse à l’Assemblée nationale.

«Pourquoi ne l’a-t-il pas fait, lui?» s’est-elle interrogée.

Mme Hivon a dénoncé le fait qu’aucune des trois initiatives dont a fait état le ministre Barrette ne soit en cours à ce jour.

Prudence à Ottawa

La réaction du côté fédéral en a été une de prudence dans ce dossier très politique.

Interrogée sur la contestation, la ministre de la Santé, Jane Philpott, a commencé par dire qu’Ottawa avait «atteint un équilibre entre les droits des Canadiens d’avoir accès à l’aide médicale à mourir et en respectant de protéger les personnes vulnérables».

Elle a ajouté que des études sont en cours «sur les autres questions un peu plus difficiles» et que l’on saurait bientôt «si ça marche comme il faut».

Elle a cependant conclu que son gouvernement «a confiance que la loi est la bonne loi.»

En Chambre, le premier ministre Justin Trudeau a fait écho à cette position lorsqu’interpellé par la néo-démocrate Brigitte Sansoucy.

«Nous avons adopté une loi prévoyant un cadre réglementaire pour l’aide médicale à mourir au Canada pour protéger nos concitoyens les plus vulnérables tout en respectant les droits et les libertés de choisir.»

«Nous reconnaissons qu’il y a encore du travail en société à évoluer par rapport à cette loi», a affirmé le premier ministre, laissant entendre que le statu quo était tout de même envisageable à moins d’avis contraire des tribunaux: «C’est un enjeu important pour la société, important pour les individus et nous avons trouvé le bon équilibre.»

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