Bombardier: Québec encaisse le coup
QUÉBEC — Le gouvernement Couillard a reçu une véritable gifle, mardi, en prenant connaissance de la décision du département du Commerce américain (DOC) d’imposer des droits compensatoires préliminaires de près de 220 pour cent aux appareils CSeries de Bombardier.
En toute logique, une barrière commerciale d’une telle ampleur — si elle est confirmée — forcera Bombardier à renoncer au marché américain, pour se tourner désormais vers d’autres marchés potentiels, comme celui de la Chine.
À Québec, la nouvelle, redoutée, a eu l’effet d’une bombe. En point de presse, en début de soirée, la ministre de l’Économie, Dominique Anglade, l’a qualifiée d’«insensée» et d’«injuste», rien d’autre qu’une «attaque frontale» américaine, sans concession, envers l’industrie québécoise de l’aérospatiale.
En 2015, Québec avait joué gros, en choisissant d’investir 1,3 milliard $ de fonds publics sous forme de participation dans la CSeries, pour l’aider à prendre son envol par l’entremise d’Investissement Québec, au moment où la filiale était en péril.
Québec a toujours prétendu que sa contribution respectait les règles commerciales américaines et internationales.
Mardi soir, Mme Anglade a réaffirmé que malgré la fermeture, au moins temporaire, du marché américain, c’était la bonne décision à prendre. Elle a répété que Boeing, le géant américain à l’origine de la plainte contre Bombardier, avait tort de se poser en victime d’une supposée concurrence déloyale.
Boeing n’a pas digéré la vente par Bombardier de 75 avions CS100 à Delta Airlines avec une option d’achat pour 50 autres.
Après cette nouvelle rebuffade, qui s’ajoute à la renégociation forcée de l’ALÉNA et au différend dans le dossier du bois-d’oeuvre, la ministre Anglade dit constater une détérioration, voire un durcissement, des relations commerciales Québec-États-Unis, sur fond de protectionnisme croissant à l’ère de l’administration Trump.
«Ce que les États-Unis disent aujourd’hui, c’est non à l’innovation québécoise, c’est non à la créativité québécoise, c’est non au génie québécois, et c’est non à la concurrence», a indiqué la ministre.
Le Québec n’aura dès lors d’autre choix que celui de «redoubler d’ardeur» pour trouver d’autres débouchés aux appareils de la CSeries.
Chose certaine, si la décision se confirme cet automne, «c’est évident que cela ferme le marché américain».
«Il n’y a pas de doute», a-t-elle ajouté, cette décision «est réellement une attaque frontale» contre Bombardier.
En clair, pour se conformer aux nouveaux droits imposés par les États-Unis, Bombardier devrait vendre ses avions trois fois leur prix réel.
Québec entend tout de même se présenter aux audiences du DOC visant à formuler une décision finale d’ici décembre, pour défendre la position québécoise.
«Il ne faut pas baisser les bras», a-t-elle dit, consciente que les négociations à venir seront «difficiles». Si la décision du DOC est maintenue, Québec n’aura d’autre choix que de recourir aux tribunaux pour tenter d’obtenir gain de cause.
Sur Twitter, le premier ministre Philippe Couillard a simplement écrit: «Décision injustifiée du DOC: soutenons nos travailleurs aéronautiques.»
En réaction à l’annonce, le gouvernement fédéral a insisté sur les emplois américains qui pourraient être menacés par la décision.
«Les composantes de la série C de Bombardier sont fournies par des entreprises américaines, lesquelles soutiennent directement près de 23 000 emplois bien rémunérés dans de nombreux États américains», a déclaré la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, par voie de communiqué.
La ministre Freeland a affirmé qu’Ottawa défendra les entreprises et les travailleurs contre le «protectionnisme injuste et coûteux».
Avant l’annonce de la décision, le premier ministre Justin Trudeau avait menacé de nouveau de couper les liens du gouvernement avec Boeing.
«C’est certain qu’on ne va pas faire affaire avec une compagnie qui est train de nous attaquer et qui veut mettre à pied des dizaines de milliers d’emplois canadiens», a dit M. Trudeau aux journalistes.
Mercredi, la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a fait savoir qu’elle était amèrement déçue de la décision américaine. Elle a affirmé sur Twitter que son pays travaillerait à la protection des emplois avec Bombardier qui compte quelque 4000 travailleurs en Irlande du Nord.